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(Image washe4ka via Pixabay)

« La quête de la viande artificielle »

En février 2019, de nombreux quotidiens ont publié un article sur « la quête de la viande artificielle », une information simultanée fort probablement issue d’une dépêche de l’AFP (Agence France Presse). On y apprenait qu’un « impossible burger » avait été présenté au salon de l’innovation de Las Vegas, avec une « forme et des couleurs très proches de celles d’un burger traditionnel » et une « texture en bouche, le goût et le côté saignant de la viande bovine » bien que « composé de plantes ». Un produit par conséquent très tendance en cete époque où le vegan a « le vent en poupe ».

Néanmoins, ces articles précisaient que Impossible Foods, la start-up à l’origine de ce produit « est parvenue à recréer ce steak en manipulant des molécules d’hème, structures d’atomes, présentes dans les organismes vivants » et qu’elle affirmait « avoir réussi à fabriquer ses propres molécules à base de plantes, notamment des racines de soja ».

 

(Image luis_molinero via Freepik).

L’article évoquait aussi « une autre piste explorée depuis plusieurs années, des États-Unis aux Pays-Bas en passant par Israël », à savoir celle de la viande in vitro : produire de la viande . à partir de cellules-souches de muscles d’animal vivant. Autre possibilité : créer des protéines à partir de bactéries.

La nourriture saine est-elle « soluble » dans la technologie ?

Certes on peut (on doit) se révolter contre l’élevage industriel, dans lequel des milliers d’animaux vivent (le mot est presque inadapté dans ce cas) dans des conditions inacceptables de proximité et de privation de liberté. Une proximité qui renforce souvent les risques de maladie, obligeant à l’emploi « préventif » de produits pharmaceutiques vétérinaires dont on retrouvera inévitablement des résidus dans la viande produite.

Un argument pour passer au « tout vegan » ? C’est oublier que la production de substituts végétaux traditionnels (tofu, seitan et autres) est aussi une énorme consommatrice d’eau et de surfaces agricoles. C’est aussi oublier que les protéines animales sont une source de nutriments hautement qualitatifs, et que l’élevage participe de façon essentielle à la biodiversité, au maintien des paysages et de l’économie rurale. Nous avons déjà évoqué ce sujet dans d’autres articles.

L’agriculture et l’élevage sont des piliers du développement des campagnes, au risque sinon de voir la vie rurale traditionnelle disparaître (image MichaelGaida via Pixabay).

Chaque année, le « jour du dépassement de la Terre » (« Earth Overshoot Day » en anglais) - cette date à partir de laquelle l'humanité a dépensé l'ensemble des ressources que la Terre peut régénérer en une année – recule un peu plus (cette date est calculée, selon une méthodologie il est vrai critiquée par beaucoup, par le Global Footprint Network, un institut de recherches international en Californie). En 1998, cette date fut le 30 septembre, en 2015 le 9 août, en 2016 le 3 août, en 2017 le 2 août et en 2018 ce fut le 1er août.

Dans le souci d’épargner les ressources de la terre (… de la Terre, notre planète), car l’humanité ne peut pas vivre éternellement à crédit sur la nature, il est donc impératif de trouver des solutions. Doivent-elles naître en dépit d’un minimum d’éthique ou tout simplement de logique ? Par exemple, concernant les biocarburants, dérivés à partir de matières premières végétales, nombreuses sont les voix à s’élever contre le fait qu’utiliser des surfaces agricoles à cet effet ne peut se faire qu’au détriment de celles dont nous avons besoin de nourrir la population mondiale en croissance constante.

Sur un autre thème, il y a quelques années, au Naturkosmetik Branchenkongress de Berlin, qui est « le » congrès européen de la cosmétique bio, un débat avait été organisé entre d’une part un partisan de l’utilisation, comme matière première cosmétique, de cellules-souches obtenues en laboratoire, et d’autre part un partisan d’extraits de plantes bio obtenues « dans les règles de l’art », selon les méthodes traditionnelles. Majoritairement, les auditeurs présents (des fabricants et distributeurs de cosmétique bio) s’étaient affichés, lors de la discussion qui avait suivi, en faveur de la seconde possibilité, déplorant le manque de naturalité de la première.

A l’occasion du salon de l’Agriculture 2019 à Paris, le ministre de l'Agriculture Didier Guillaume a déclaré «[qu’] on ne peut pas faire passer toute l'agriculture en bio, parce que cette agriculture-là n'est pas à même aujourd'hui de produire l'alimentation que nous souhaitons en quantité », tout en reconnaissant que la transition agroécologique de l'agriculture est « irréversible ».

Selon le ministre de l’Agriculture Didier Guillaume, l’agriculture bio ne peut pas produire en quantité suffisante pour nourrir tout le monde (image Christian2607 via Wikimedia Commons).

La Bio n’est-elle donc pas la bonne piste ? Faut-il avoir recours, entre autres, à des méthodes de culture « hors-sol », du type hydroponie ou aéroponie ? Rappelons que l’hydroponie consiste à cultiver des plantes sur un substrat neutre et inerte (par exemple sable, billes d'argile ou laine de roche), irrigué avec courant de solution qui apporte les sels minéraux et autres nutriments essentiels à la plante. Il existe aussi l’aquaponie, qui associe l’hdyroponie et l'élevage de poissons : l’eau qui irrigue le substrat solide provient d'aquariums où sont élevés des poissons. Des bactéries aérobies issues du substrat transforment l'ammoniaque contenu dans les déjections des poissons en nitrate, directement assimilable par la végétation. L'eau purifiée retourne ensuite dans l'aquarium. Mentionnons également l’aéroponie, méthode dans laquelle les racines des plantes ne sont plus en contact ni avec un milieu solide, ni même avec un milieu liquide : elles sont alimentées, dans un milieu fermé, par un brouillard contenant la solution nutritive. De telles techniques, notons-le, économisent à la fois les surfaces agricoles et les quantités d’eau utilisées.

Certaines entreprises ont mis au point des engrais liquides biologiques utilisables en hydroponie et revendiquent pouvoir faire de « l’hydroponie bio ». C’est cependant oublier que le règlement européen (CE) n° 889/2008 du 5 septembre 2008 « relatif à la production biologique et à l'étiquetage des produits biologiques en ce qui concerne la production biologique, l'étiquetage et les contrôles » stipule que « La production biologique végétale repose sur le principe selon lequel les plantes doivent être essentiellement nourries par l'écosystème du sol. C'est pourquoi il convient de ne pas autoriser la culture hydroponique, qui consiste à faire pousser les végétaux sur un substrat inerte et à les nourrir à l'aide de minéraux et d'éléments nutritifs solubles ».

Hydroponie et aéroponie sont des méthodes « artificielles » qui mettent les plantes sous perfusion et ne respectent pas leurs vrais cycles naturels et saisonniers (images skeeze et naidokdin via Pixabay).

Une telle approche « high-tech » n’est-elle d’ailleurs pas la porte ouverte à une « boîte de Pandore », entre « ferme des 1.000 vaches » et aliments de synthèse, issus de cultures de cellules ? Sans parler, pour ce qui est de l’hydroponie/aéroponie, de la réduction de la diversité des plantes cultivées, nourries qui plus est de substances nutritives plus ou moins synthétiques dans des serres qui ne connaissent pas le rythme des saisons, et d’une agriculture confiée à des industriels, au détriment des familles de paysans vivant de la terre ?

Avec des efforts de notre part, l’agriculture peut nourrir la planète

Manger sain, n’est-ce pas d’abord plutôt faire confiance à des aliments et à des procédés traditionnels, largement employé en agriculture et élevage bio, et encore plus en biodynamie (Demeter) ?

Pour contredire l’affirmation absolue du ministre de l’Agriculture, on peut citer ici une étude assez récente, publiée en novembre 2017 par une équipe de 11 chercheurs, dont 7 de l’institut de recherche sur l’agriculture biologique (FiBL), dans la revue Nature Communications, intitulée « Strategies for feeding the world more sustainably with organic agriculture » (Stratégies pour nourrir le monde de manière plus durable avec l'agriculture biologique).

Traduction par nos soins du résumé de cette étude :

« L'agriculture biologique est proposée comme une approche prometteuse pour obtenir des systèmes alimentaires durables, mais sa faisabilité est également contestée.

Nous utilisons un modèle de systèmes alimentaires tenant compte des caractéristiques agronomiques de l'agriculture biologique pour analyser le rôle que l'agriculture biologique pourrait jouer dans des systèmes alimentaires durables.

Nous montrons ici qu'une conversion à 100 % en agriculture biologique nécessite plus de terres que l'agriculture conventionnelle, mais réduit l'utilisation des excédents d'azote et des pesticides. Toutefois, en combinaison avec la réduction du gaspillage alimentaire et des aliments pour animaux concurrents utilisant des terres cultivées, avec également la réduction correspondante de la production et de la consommation de produits d'origine animale, l'utilisation des terres en agriculture biologique reste inférieure au scénario de référence.

D'autres indicateurs, tels que les émissions de gaz à effet de serre, s'améliorent également [avec l’agriculture bio], mais l’apport suffisant en azote constitue un défi. En plus de se concentrer sur la production, les systèmes alimentaires durables doivent également prendre en compte les interdépendances entre cultures, herbe et bétail et consommation humaine.

Aucune des stratégies correspondantes ne nécessite une mise en œuvre complète et leur mise en œuvre partielle combinée offre un avenir alimentaire plus durable ».

En clair, cette étude affirme qu’il pourrait être possible convertir la totalité de l’agriculture au biologique. Certes cela nécessiterait, dans le monde, de mettre en culture 16 % à 33 % de terres en plus dans le monde en 2050 par rapport à la moyenne de 2005-2009 (contre 6 % de plus dans le scénario de référence de la FAO, essentiellement basé sur l’agriculture conventionnelle), les rendements du bio étant plus faibles, ce qui augmenterait de 8 à 15 % la déforestation, avec un impact négatif sur le climat. Mais en même temps on réduirait la pollution aux pesticides et aux engrais de synthèse, on aurait moins recours aux énergies fossiles, et les émissions de gaz à effet de serre seraient diminuées légèrement (-3 à -7 %) par rapport au conventionnel.

Certes aussi, les chercheurs soulignent aussi que ce scénario ne serait possible que si on réduit le gaspillage alimentaire et si on limite la consommation de protéines animales, et donc l’élevage.

Oui, tout ceci nécessite de changer nos habitudes de consommation pour que cela « marche ». Mais ces efforts nécessaires ne justifient pas, comme on peut le lire sous la plume de certains, de dire que le scénario évoque par ces chercheurs n’est pas réaliste, même si ces derniers concluent, comme cité plus haut, « aucune des stratégies correspondantes ne nécessite une mise en œuvre complète et leur mise en œuvre partielle combinée offre un avenir alimentaire plus durable ». C’est-à-dire qu’ils sous-entendent que la combinaison conventionnel/bio est sans doute la solution la plus viable.

Ne doit-on pas cependant tout faire pour tendre vers la solution du « tout bio » ? Puisque cela apparaît comme faisable, partons de ce principe et faisons les efforts qui s’imposent, combinant les exigences techniques de l’agriculture bio, la réduction du gaspillage alimentaire et une réduction raisonnée de la consommation animale. Mais en gardant le lien avec la terre, dans partir dans les excès inverses, comme produire nos aliments en laboratoire…

La Bio, c’est le lien à la terre

Car dès le départ, la « mission » de la Bio a été de « produire sainement des produits sain », en ne polluant ni les terres (santé de l’environnement), ni les plantes qui y poussent et les animaux qui s’en nourrissent, et en fabriquant au final des produits bons pour la santé de les populations qui les consomment.

Pour ce faire, le lien avec la terre, avec le sol, est vital, pour nous et la planète. Car, contrairement à l’agriculture conventionnelle, en plus de produire sans polluer et dans un respect optimal de la nature, l’agriculture bio « fabrique des sols », en produisant de l’humus et en luttant contre l’érosion. Elle crée aussi des conditions propices à une meilleure santé, avec des sols naturellement équilibrés, fertiles et « vivants » (nutriments, flore microbienne, insectes, vers de terre…), nourris entre autres par les engrais animaux, sur lesquels poussent des plantes riches en nutriments et vivent des animaux en bonne santé. Des plantes qui puisent dans le sol les nutriments dont elles ont besoin et quand elles sont besoin. Enfin, comme dit plus haut, l’agriculture bio participe à la biodiversité, lutte contre la destruction des milieux naturels et fait vivre les campagnes.

En produisant des aliments issus de sols vivants, naturellement riches en nutriments, transformés dans le respect de cette richesse, la Bio est plus légitime pour proposer une alimentation saine que ne l’est une agriculture conventionnelle usant d’artifices et d’additifs, avec des productions provenant de sols appauvris et en permanence sous « perfusion » d’intrants chimiques. Elle est plus légitime aussi que ces « cultures de laboratoire géant » que sont l’hydroponie et l’aéroponie, pour nous nourrir sainement, car elle produit des plantes naturellement « abreuvées de soleil », qui se sont développées sur des sols naturels et dans le respect des cycles biologiques et saisonniers.

Il nous importe à nous tous, consommateurs ou vendeurs spécialisés, d’agir pour promouvoir l’agriculture biologique et les comportements (réduction du gaspillage, des déchets, consommation raisonnée de protéines animales, élevage respectueux des animaux…), car elle est vraiment capable de répondre à toutes les problématiques actuelles, qu’elles soient environnementales (pollution, biodiversité…), sociales (dynamisation des campagnes et soutien des petites producteurs dans le monde entier), ainsi que sanitaires et nutritionnelles (qualité des aliments produits).

Bio-laboratoire ou lien avec la terre ? L’aspect humain ne doit pas être oublié (images freepic.diller via Freepik et Herney via Pixabay).


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