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Parfois, des évènements de l’actualité quotidienne qui ne semblent avoir aucun lien avec le monde de la Bio amènent néanmoins à se poser des questions essentielles pour quelqu’un qui a décidé de faire de cette Bio son activité professionnelle ou même, simplement, un cadre directeur pour son mode de vie. En l’occurrence, ce sont ici deux faits divers dans lesquels les réseaux sociaux sont au cœur du problème qui nous ont inspiré.

Des justiciers par milliers sur le web

En ce début janvier 2020, deux articles ont en effet retenu notre attention lors de la lecture quotidienne de notre journal, au moment du petit déjeuner.

Le premier relate la déplorable expérience d’une adolescente de 16 ans de l’Isère, qui publie une vidéo sur Instagram, évoquant son rêve de devenir chanteuse et ses préférences amoureuses. En retour, elle est « lourdement draguée », puis un des lourdauds éconduit l’insulte, rameute ses camarades sur le réseau social, tous finissant par déverser un flot d’injures, certains à caractère raciste et homophobe. La discussion s’envenime, cela finit par un appel au lynchage et au viol de la jeune fille, avec des centaines de menaces de mort. Ses coordonnées personnelles sont même divulguées. Ses parents sont obligés de la retirer de son école, plainte étant évidemment déposée à la gendarmerie.

Quelques pages plus loin, nous lisons la curieuse aventure d’un passionné de nature qui, se promenant dans une forêt vosgienne, y rencontre un animal inhabituel, qu’il filme en commentant, sans se prononcer néanmoins sur cet animal, qui ressemble à un loup. Puis il « partage » sa vidéo sur Facebook. Aussitôt, des messages en retour appellent à un battue pour tuer la bête (forcément malfaisante), d’autres accusent à l’inverse le promeneur d’être un ignoble chasseur (ce qui n’est pas le cas) car il portait une veste avec des inserts réfléchissants, d’autres encore disent qu’il se trompe et que ce n’est pas un loup (ce qu’il n’a à aucun moment affirmé), d’entres enfin l’accusent de mentir sur le lieu de cette vidéo, qui n’aurait pas été prise en France car le commentaire n’est pas en français (et pour cause, le vidéaste parlait en alsacien !). Bref, tout le monde donne son avis à tort et à travers, avec force injures.

Le web regorge de milliers (millions ?) d’experts et justiciers autoproclamés anonymes, qui estiment avoir raison et veulent imposer leurs vues (image carrrot via Pixabay)

La Bio, vivier de rumeurs et autres fausses informations

Quel rapport avec la Bio ? Le rapport, c’est que la « toile » regorge de justiciers en tous genres - décidés à punir si nécessaire tous ceux qui ne pensent pas comme eux (si nécessaire en ayant recours à la violence) - et autres experts autoproclamés, qui affirment détenir la vérité, mieux savoir que les autres et insulter si utile (c’est facile et gratuit, quand on s’abrite derrière l’anonymat d’un clavier) ceux qui osent mettre en doute leur parole. Phénomène autrefois inexistant, ce « mode de pensée » explose depuis des années grâce à Internet, à ses blogs et à ses réseaux sociaux, que nous préférons appeler « réseaux asociaux », tant l’actualité nous en apprend les dérives permanentes (même si, heureusement, ces réseaux peuvent avoir aussi des résultats bénéfiques).

La Bio, avec ses positions décalées et à contre-courant, considérées par certains comme « dérangeantes » à ses origines, est née, dans un sens, comme un « mouvement de résistance » à des façons de faire, de produire et de vivre qui étaient le dogme général. Elle ne pouvait ainsi qu’être une cible (ou une motivation) idéale, dans cette facilité offerte à tout un chacun de s’exprimer sur tout et n’importe quoi via le web, surtout quand on n’a pas vraiment de légitimité particulière pour le faire, l’anonymat de la toile permettant simplement à des personnes, sans doute frustrées de quelque chose, de se donner de l’importance et/ou de se trouver une raison d’être.

D’un côté, on voit ainsi fleurir des accusations de fraude massive en bio par ceux qui ne croient pas en ses principes et ses méthodes, avec par exemple des contre-vérités sur les bienfaits de l’agriculture biologique, pourtant évidents tant en matière de santé que d’environnement. De l’autre côté, celui des personnes qui à l’inverse se sont appropriées l’idée de lutte contre l’establishment (entre autres contre les lobbies de l’industrie agroalimentaire ou agricole conventionnelle, qu’il ne faut certes pas nier), on a vu l’apparition de jusqu’au-boutistes estimant qu’on en fait pas assez, justifiant même (voire pratiquant) la violence contre les agriculteurs, les bouchers, etc.

Ces dénonciateurs digitaux n’hésitent pas à diffuser partout leurs vérités, avec des raisons qui échappent souvent au bon sens. Ainsi, telle grosse entreprise alimentaire bio internationale très connue serait à boycotter, sous prétexte qu’elle appartiendrait à Monsanto (alors qu’il suffit d’aller consulter les informations réglementaires et économiques qui existent dans les bases de données officielles pour se rendre compte que c’est faux). Un de nos amis, président d’une entreprise familiale de cosmétique bio, se bat depuis des années contre une rumeur selon laquelle sa société ferait partie du groupe L’Oréal, là aussi raison, pour certains « justiciers », pour ne pas lui faire confiance et lancer des appels à boycott. Et ce n’est pas mieux concernant des produits ou des ingrédients : le lait de vache serait un poison pour notre organisme, alors que seule une minorité de personnes, sous nos latitudes, sont soit intolérantes au lactose soit allergique aux protéines de lait. Les deux faits sont d’ailleurs allègrement mélangés, avec des chiffres détournés de leur réalité scientifique.

Les informations circulent aujourd’hui à une vitesse exacerbée, surtout lorsqu’elles vont à contre-courant de ce qui est considéré comme les vérités « officielles », donc « forcément » trompeuses ! (image geralt via Pixabay).

Et pour terminer avec un exemple lié à la cosmétique, les PEG (certes ingrédients largement sujets à caution, qui sont des alcools ayant subi un process appelé éthoxylation qui met en en œuvre de l’oxyde d’éthylène ou C2H4O), seraient dangereux parce que « ils étaient [ou sont encore, selon les versions] utilisés pour créer des gaz de combat à l’origine ». Parfois, l’affirmation se transforme en « sont fabriqués à partir de substances cancérigènes qui peuvent aussi être utilisées pour fabriquer des gaz de combat ». Cela ne suffit pas pour prouver leur dangerosité ? Alors faites confiance à cet(te) autre expert(e) qui affirme que « le PEG, le polyéthylèneglycol, est un tensioactif obtenu à partir de gaz de combat que l'on retrouve dans la plupart des cosmétiques (après purification) ». On peut aussi lire que « le sodium laureth sulfate [SLS, qui est aussi un composé éthoxylé] présent dans presque tous les shampooings est un irritant obtenu à partir d'un gaz de combat », ou encore que « tous les PEG par exemple utilisés couramment comme agent émulsifiant sont obtenus à partir de gaz très inflammables et toxiques employés comme gaz de combat ». Quel méli-mélo !

Il y a certes un fond de vérité : une des méthodes de production du fameux « gaz moutarde » ou « ypérite », le premier et plus important gaz de combat utilisé pendant la Première Guerre mondiale, consistait à faire réagir du C2H4O sur du chlorure de soufre. Mais ce n’est pas la « raison d’être » du C2H4O, loin de là. À l’instar de nombreux autres composés chimiques, ses usages - au travers de l’éthoxylation ou non - sont multiples. Ils vont de la stérilisation des épices ou de matériel médical à la fabrication de substances utilisées comme réfrigérants, antigels ou détergents… Donc : non, ni les PEG ni le SLS ne sont fabriqués à partir de gaz de combat, et encore moins du « gaz de combat purifié » !

Cela ne rend pas le procédé d’éthoxylation plus innoffensif qu’il ne l’est (et de fait, le C2H4O pur est dangereux et sa manipulation est très encadrée), ni le SLS moins irritant (car il l’est..). Mais cela n’autorise pas pour autant des personnes qui n’ont aucune formation, compétence et expérience en chimie à raconter n’importe quoi… Ou alors si le fait que cet oxyde d’éthylène peut aussi être utilisé pour fabriquer des gaz de combat, il faut également arrêter de mettre de l’antigel (éthylène glycol) dans les moteurs de nos voitures, car il en est aussi un dérivé. Répandre de telles informations (et nous pourrions prendre d’autres exemples), c’est tout sauf de l’intelligence.

Le savoir à portée de clic ?

Ce mot « intelligence » nous renvoie d’ailleurs au monde du numérique, qui est celui des bases de données, de la « connaissance connectée » et même de « l’intelligence artificielle ».

Le problème, en lien direct avec le sujet évoqué à l’instant, c’est que beaucoup de personnes pensent aujourd’hui avoir accès, en quelques clics, à tout instant et n’importe où, grâce aux smartphones, à la connaissance universelle. Mais trop souvent, la fiabilité de la source n’est pas questionnée, surtout quand les informations circulent comme l’éclair sur via Facebook, Instagram et autres Twitter. Des blogs tenus par des personnes dont on ne sait finalement rien servent de référence absolue pour se faire un jugement, sans oublier Wikipedia, « l’encyclopédie libre », qui se présente aussi comme « l’encyclopédie collective en ligne, universelle ». Mais c’est une ressource où le meilleur côtoie le pire, un pire pour lequel nous pourrions citer de très nombreux exemples. Nous nous contenterons ici de renvoyer à son article « Cosmétique biologique », créé en janvier 2010 et qui, exactement 10 ans après, constitue un véritable sommet en matière d’informations confuses et inexactes, voire de ridicule.

Un autre réflexe pour avoir en permanence l’accès à la « connaissance », ce sont les applications pour mobiles. En matière d’alimentation et de cosmétique bio, nous pensons en particulier aux applis d’évaluation et de notation des produits qui prolifèrent depuis des années. Il suffit de prendre un peu de temps pour comparer les résultats qu’elles donnent, ou lire les avis négatifs donnés par les utilisateurs sur les sites de téléchargement, ou encore aller voir des blogs de qualité qui ont fait ce travail de comparaison, pour se rendre compte des incohérences récurrentes entre elles : ingrédients vraiment très controversés parfois oubliés ou classés « sans risque », faisant noter « excellent » un produit qui en contient ; ingrédients sans souci mal notés ; produits notés « excellents » par une appli et « médiocres » voire « à éviter » par une autre ; méthodes de pondération des calculs plus ou moins obscures et largement discutables…

Les composants naturels des huiles essentielles, notamment, sont négativement notés, car potentiellement allergènes, déclassant les produits concernés… alors que seulement 1 à 3 % de la population est réellement allergique ! Résultat : des marques bio sont parfois attaquées sur les réseaux sociaux et/ou blogs par des utilisateurs de ces applis, qui « partagent » leurs résultats « d’analyse », et des consommateurs/consommatrices prennent peur et délaissent des produits qui sont en fait excellents !

Le problème est que dans beaucoup de cas on ne sait pas précisément qui sont les personnes dont le jugement sert de base technique à ces applis. Pour l’une d’entre elles, c’est un biologiste. Pour une autre, ce sont deux étudiants d’une école de chimie qui ont servi de référents scientifiques. Pour une autre encore un pharmacien… Quasiment aucun cosmétologue ni formulateur. Dans la pratique, toutes ces personnes à la critique facile seraient totalement incapables de formuler et de mettre au point des cosmétiques sûrs, efficaces et confortables selon les critères qu’ils veulent imposer. Les « intelligences artificielles » issues des algorithmes de ces applis ne remplaceront jamais le savoir-faire, l’expérience et la compétence de personnes physiques, surtout dans le cas de la cosmétique bio certifiée actuelle.

« Qui, où, quand, comment, pourquoi et comment » : aucune base de données, aucun algorithme, aucune encyclopédie ne peut résumer et contenir le Savoir, avec un « grand S ». Celui-ci doit toujours être étalonné à l’aune du bon sens, de l’expérience… et de l’humilité (image geralt via Pixabay).

Vive l’intelligence humaine

Nous n’hésitons pas à le dire : le savoir venu d’on ne sait où et d’on ne sait qui sur le web est trop souvent… artificiel, dans le sens « fait d’artifices », le mot « artifices » ayant son sens de « moyen habile, ingénieux destiné à améliorer, à corriger la réalité ou la nature » ou encore « Procédé d'imitation inventé pour créer l'illusion de la réalité ».

Vivre la Bio, partager ses valeurs et les faire partager, cela consiste à le faire avec intelligence, mais une intelligence humaine, raisonnée, posée, critique. C’est-à-dire s’informer auprès de sources fiables, identifiées, expérimentées, qui font autorité, et bien sûr les comparer entre elles. Pas écouter les justiciers anonymes et les « informateurs » qui n’utilisent pas les bonnes sources ou ne les comprennent pas et qui dénoncent voire « excommunient ».

Certes, cela nécessite plus de temps et plus d’efforts qu’un simple clic sur son clavier d’ordinateur ou son smartphone. Mais l’avenir d’une Bio forte et de confiance, essentiel à un moment où de plus en plus d’acteurs purement mercantiles s’y intéressent, passe impérativement par cela, pas par le fait d’endosser l’habit de Zorro.


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