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Elle reste encore une niche mais elle fait désormais partie du paysage commercial, le nombre de ses utilisateurs croissant lentement mais sûrement dans tous les circuits de vente, en particulier la grande distribution (super- et hypermarchés), la pharmacie et parapharmacie et bien entendu les magasins bio, sans oublier d’autres réseaux comme les instituts ou la vente sur Internet. Elle ? Il s’agit de la cosmétique bio, dont l’offre a explosé en quelques années. Certaines marques sont des pionnières de la première heure, d’autres parfois des jeunes start-up très locales, d’autres encore des marques distributeurs, c’est-à-dire appartenant à des enseignes de la grande distribution. Une grande distribution réputée pour ses prix bas, un facteur qui devrait permettre une meilleure diffusion de la cosmétique bio. Mais faut-il vraiment s’en réjouir ?

 

Les marques distributeurs, c’est quoi ?

 Omniprésentes dans le paysage commercial français, dans lequel les enseignes de super- et hypermarchés jouent un très grand rôle par leurs magasins de GMS (grande et moyenne surface), les marques de distributeur (alias MDD) sont des marques commerciales qui appartiennent à une enseigne donnée et qui ne sont donc vendues que dans ses propres magasins. Elles sont le contraire des marques de producteurs, également appelées marques nationales, qui sont des marques indépendantes des distributeurs et peuvent donc se retrouver indifféremment dans les rayons de n’importe quelle enseigne ou circuit.

On trouve en général deux types de MDD. Le premier est celui des marques d’enseigne (ou marques enseigne), dont le nom voire le logo sont les mêmes que ceux de l’enseigne de GMS à laquelle elles appartiennent. L’avantage est qu’elles peuvent bénéficier directement (ou pas, quelquefois) de l’image de l’enseigne propriétaire. Le second type est celui des marques propres, qui ne portent pas au sens strict le nom de l’enseigne, mais une autre marque qui a été spécifiquement créée par la chaîne de magasins. Dans les deux cas, les produits ne sont toujours vendus, comme dit plus haut, qu’au sein même de l’enseigne, et jamais chez les concurrents, bien sûr, ni dans d’autres circuits.

 Les marques enseigne sont principalement utilisées pour les produits de moyenne gamme, parfois aussi cependant pour des gammes premier prix ou des gammes « premium ». Les MDD sont surtout utilisées pour des produits de consommation courante (alimentation, hygiène-beauté, lessives et autres détergents…), mais pas uniquement. Si les marques enseigne sont plutôt employées pour les produits de « moyenne gamme », on les retrouve parfois sur du premier prix ou du haut de gamme. Pour les marques propres, c’est l’inverse. Elles sont notamment utilisées sur des produits techniques, comme l’électroménager ou la télévision.

 Contrairement à ce que l’on pourrait penser, les MDD ne sont pas une invention récente. Elles ont fait leur apparition dès la fin du 19e siècle, avec la vieille enseigne d’épicerie Félix Potin (née en 1844 et disparue en 1995) qui fabriquait et /ou conditionnait dans ses usines des produits à sa marque. Un des autres précurseurs fut la société Au Planteur de Caïffa, chaîne d’épiceries fondée en 1890 et disparue au début de la Seconde Guerre mondiale. L’enseigne Casino, née en 1898, proposa également très tôt des produits à sa marque (à partir de 1901), de même que Coop Alsace, longtemps leader dans sa région, née en 1902 et liquidée en 2015. Dans les années 1930, les « magasins populaires » Prisunic, Monoprix ou Uniprix avaient également de tels produits.

Mais c’est en 1976 que les MDD commencèrent à se généraliser, avec le lancement par Carrefour de ses « produits libres » d’entrée de gamme, très basiques. Avec « produit libre », Carrefour voulait sans doute employer une dénomination voulue comme positive pour le consommateur. Mais « libre » (« libérée… ») des marques, cela signifie aussi sans l’éventuelle garantie du savoir-faire et de la notoriété des marques, sans – de facto – leur « image de marque » que beaucoup d’entreprises s’efforcent - il faut le souligner – de soigner avec par exemple des garanties de qualité.

Parfois, mais cela est rare, les produits des MDD sont fabriqués par des filiales des enseignes de distribution. Plus généralement, ils le sont par des industriels indépendants, soit par des entreprises spécialisées dans la MDD, soit par des marques nationales mais donc sous les marques des GMS. Dans ce dernier cas, il est difficile de savoir quel est le fabricant, celui-ci ne souhaitant pas que le consommateur sache que des produits à marque de GMS sortent aussi de ses usines.

 

Pour les enseignes de GMS, les MDD sont le gage de profits plus importants (image Alexas_Fotos via Pixabay).

 Pour les enseignes de la GMS, l’avantage des MDD est évident : d’une part leur coût de revient est moindre que celui des marques nationales, qui investissent beaucoup en recherche ainsi qu’en publicité, pour se faire connaître, et d’autre part parce que le nombre d’intermédiaires est réduit. Ceci permet à la GMS de vendre ses MDD moins chères (en général 20 à 30 % de moins), tout en gardant des marges (profits) non négligeables.

La cosmétique bio n’échappe pas à ce marché

Les produits de MDD sont souvent conçus pour ressembler le plus possible à ceux des marques nationales, mais il est difficile pour la GMS de faire des copies conformes, ce qui pourrait provoquer des conflits pour contrefaçon. Même lorsque les produits de MDD sont fabriqués par des marques nationales, les recettes/compositions sont en général différentes, pour éviter toute « cannibalisation » du marché, c’est-à-dire que les consommateurs délaissent la marque inspirante au profit de la marque de GMS.

Si la pratique des MDD est donc ancienne en alimentaire, cela fait bien longtemps qu’elle a également fait son apparition en cosmétique. Et la cosmétique bio attirant de plus en plus de consommateurs, alors qu’en même temps le marché de la cosmétique conventionnelle stagne, inévitablement la cosmétique bio de MDD est également arrivée dans les rayons.

 Trouver sur le marché des cosmétiques bio moins chers de 20 à 30 % grâce aux MDD est a priori une bonne chose : qui se plaindrait que le plus grand nombre puisse accéder à la qualité et à la sécurité de formules certifiées ? Mais au final, est-ce bien au bénéfice du développement de la cosmétique bio de qualité ?

Car qu’est-ce qu’une cosmétique bio de qualité, abstraction faite de la question du prix ? Dans le présent cas, le mot « qualité » doit se refléter dans chacun des deux mots de l’expression « cosmétique bio ». « Cosmétique », cela signifie que le produit doit être efficace (avec en permanence de nouveaux ingrédients ou de nouvelles associations d’ingrédients pour y arriver) et agréable à utiliser (parfum et texture). « Bio », cela signifie le respect des cahiers des charges techniques (notamment l’absence d’utilisation de produits chimiques pour traiter les plantes, mais aussi l’utilisation de procédés de transformation respectant les matières premières, l’absence d’ingrédients issus de sources non renouvelables, l’exclusion de produits chimiques issus de la synthèse pure, etc.). Et cela signifie aussi le respect de nombre de règles éthiques, allant de l’écologie en général au commerce équitable en passant par des partenariats solidaires ou un comportement idéal avec les collaborateurs directs ou indirects de l’entreprise.

Alors oui certes, pour ne parler que de la vraie cosmétique bio - celle qui est certifiée (Cosmos, Cosmébio, BDIH, NaTrue, Demeter, Nature & Progrès…) - et non du « green washing », on trouve de fait en GMS des produits de MDD qui sont également certifiés. Mais force est de constater que cette certification est en général uniquement basée sur les critères a minima, à savoir les critères techniques. Quid des critères éthiques, en particulier lorsque – comme nous l’apprennent régulièrement les médias – producteurs et transformateurs sont parfois considérés par la GMS comme « taillables et corvéables » à merci ? « Pour l’année prochaine, si vous voulez continuer à être présent dans nos rayons, vous devrez baisser de 5 % les prix auxquels nous vous achetons les produits. Et si jamais vous avez des retards ou des ruptures de livraison, vous nous paierez des indemnités selon le barème que nous avons défini au sein de l’enseigne ».

 

La présence d’un logo de certification bio sur un cosmétique n’en fait pas pour autant un produit de qualité : un cosmétique bio doit aussi offrir des formulations visant le meilleur et non le moins cher (image PublicDomainPictures via Pixabay).

Conséquence de la course au prix bas imposée par la GMS, il faut également reconnaître que la qualité d’utilisation des produits cosmétiques de MDD n’est pas toujours au rendez-vous, tant des économies sont faites lors de la fabrication ou de la formulation. Commentaire fait un jour par la responsable Recherche & Développement d’une marque de cosmétique certifiée, bien présente dans le réseau bio, qui, regardant la composition d’une crème visage certifiée de MDD : « Je n’oserais pas faire une telle formule, même comme crème pour les pieds ! ». Car on peut faire du bio bas de gamme. Ainsi, le pourcentage d’ingrédients bio est plus souvent proche du minimum qu’exige la certification que l’inverse. Le pourcentage d’actifs peut être aussi calculé au plus juste, à côté de bien d’autres voies d’économie pour rogner sur le prix final. Respecter les cahiers des charges techniques est une chose, viser l’ensemble de ce qui fait un cosmétique bio de qualité en est une autre.

Les marques nationales indépendantes, moteurs du marché

 Pour la GMS, comme pour d’autres segments de la consommation, offrir des cosmétiques bio est avant tout de l’opportunisme : chaque fois qu’un créneau est porteur, elle s’y précipite (bio, vegan, vrac, téléphonie, etc.).

 De leur côté, pour les marques de cosmétique bio (mais cela est également valable pour les marques alimentaires indépendantes), faire de la cosmétique bio c’est défendre leur image de marque, et c’est normalement également défendre les valeurs de base qui sont l’essence même de la Bio. 

Pour défendre cette image de marque, les entreprises bio indépendantes font de constants efforts, pour offrir un niveau optimal au sein des catégories qui sont les leurs (premiers prix, moyenne gamme ou premium). Comme les organismes de certification ou les fabricants le rappellent eux-mêmes, la conformité à un cahier des charges - qui n’est donc avant tout que « technique » - n’est pas forcément synonyme de « qualité cosmétique ». L’efficacité cosmétique et les qualités « plaisir » (parfum, texture…) ne sont pas à ce jour des critères pris en compte par les référentiels de cosmétique naturelle et bio.

Par leur mode de fonctionnement, les marques indépendantes participent au développement de producteurs locaux dans le monde entier (images brenkee, Ironight et dghchocolatier via Pixabay).

 Ensuite, par principe, les marques indépendantes sont souvent engagées dans des actions destinées à soutenir les producteurs de matières premières, dans le monde entier. Projets socio-équitables, aide au maintien à la biodiversité, lutte contre la biopiraterie (vol des richesses et des savoir-faire locaux)… sont des engagements que l’on trouve souvent dans les philosophies de ces entreprises. En parallèle, ces marques sont aussi celles qui innovent, permettent l’apparition de nouveaux actifs rendant la cosmétique bio toujours plus efficace et plus sûre (cette remarque est bien entendu également valable pour l’alimentaire, mais elle est particulièrement valable pour la cosmétique qui reste de la chimie, fût-elle « verte » et donc d’une haute technicité). Le prix et la rentabilité ne sont pas l’obsession première, même si, bien sûr, aucune entreprise ne peut se permettre de perdre de l’argent.

 Si la cosmétique bio a atteint aujourd’hui un tel niveau de qualité, c’est bien grâce aux marques nationales, pas grâce aux MDD qui ne font que profiter de l’intérêt croissant des consommateurs pour ces produits. 

Enfin, n’oublions pas qu’à l’heure où le maintien du commerce de proximité dans les villes est essentiel pour conserver une économie en bonne santé, les marques nationales, vendues notamment dans le circuit bio spécialisé historique, y participent à leur niveau. Tout en reconnaissant qu’un cosmétique bio de MDD peut être moins cher de 1 ou 2 euro en GMS, la différence finale de quelques dizaines d’euros à la fin de l’année ne vaut-elle pas cet investissement ? C’est l’avenir même de la (vraie) cosmétique bio de qualité qui en dépend.

 

Les marques nationales, en étant présentes en dehors de la GMS, aident le commerce de proximité à se maintenir (image kirkandmimi via Pixabay).


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