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Faut-il vraiment éviter le gluten dans les cosmétiques ?
(photomontage sur images Pixabay Bru-nO et suraj).

 

Depuis plus de 10 ans, la cosmétique, conventionnelle ou certifiée bio, a multiplié les allégations du type «sans » destinées à rassurer le consommateur : « sans tests sur animaux », « sans parabens », « sans sulfates », « sans perturbateurs endocriniens »… Parmi les dernières allégations de ce genre, on voit de plus en plus de produits afficher « sans gluten », tendance très forte aux Etats-Unis depuis des années. Mais est-ce vraiment un argument « santé » supplémentaire ?

 

Des allégations « sans » en sursis

 

Dès l’origine, la cosmétique naturelle et bio s’est construite sur une promesse de produits formulés sans huiles minérales ni silicones, sans parfums ou conservateurs de synthèse, sans PEG, sans tests sur animaux, etc. Au fil des années – et de l’évolution des inquiétudes des consommateurs ainsi que de l’actualité – de nombreux nouveaux « sans » sont apparus, les derniers en date étant entre autres le « sans perturbateur endocrinien » ou le « sans huile de palme », en cosmétique aussi bien qu’en alimentaire. Mais les marques conventionnelles n’ont pas été en reste et se sont également lancées dans la surenchère des « sans »…

Le problème est que ces allégations sont parfois faites en dépit du bon sens, sans que l’administration ne vienne malheureusement mettre un peu d’ordre dans les excès. Ainsi, pourquoi mettre en avant « sans tests sur animaux » alors qu’il est interdit de commercialiser des cosmétiques testés sur animaux dans l’Union Européenne depuis mars 2013 ? Pourquoi alléguer « sans conservateurs » et « sans parabens » alors que les parabens sont des conservateurs ? De même, pourquoi promettre en même temps un produit « sans silicones » et « sans cyclopentasiloxane » alors que ce composant est un silicone ? Si ce n’est, dans ces deux cas, pour rallonger la liste des « sans » comme certaines personnes rallongent artificiellement leur CV ? Comment peut-on se vanter qu’un vernis à ongles ne contient pas de conservateurs alors que de toute façon il n’est pas nécessaire d’en mettre dans la quasi-totalité des formules (à l’exception des rares vernis à l’eau), aucune bactérie ni moisissure ne pouvant vivre dans les solvants qui sont le composant principal des vernis ?

Ce type de dérives fait, entre autres, que depuis de nombreuses années, l’Union Européenne se préoccupe de la prolifération des allégations « sans », surtout que très souvent il s’agit en fait d’ingrédients parfaitement autorisés qui sont concernés. Certes leur innocuité est parfois (très) douteuse (exemple les ingrédients soupçonnés d’être des perturbateurs endocriniens), mais sur un plan purement légal, mettre en avant l’absence d’ingrédients parfaitement autorisés par la loi peut être considéré, sur la forme, comme une opération de dénigrement de la concurrence, donc déloyale, quoi qu’on en pense sur le fond…

Dans un rapport publié en septembre 2016 faisant suite à une opération de surveillance réalisée sur près de 2000 publicités faites dans six pays européens (France, Hongrie, Italie, Pologne, Royaume-Uni et Suède), la Commission Européenne a ainsi souligné que cette allégation « sans » est « attrayante sur le plan commercial, du fait de l’attention des médias. Cependant, les États membres ont considéré qu’elle allait à l’encontre du critère d’équité puisqu’il y avait dénigrement d’ingrédients autorisés. D’un autre côté, nombre d’États membres ont indiqué que les allégations portant sur l’absence d’ingrédients comme l’alcool, les huiles essentielles ou le savon étaient considérées comme conformes car il est essentiel pour le consommateur de pouvoir choisir d’éviter ces ingrédients pour certaines raisons liées par exemple à la religion ou aux allergies ».

Régulièrement, on entend parler d’un projet européen d’interdiction des allégations « sans » en cosmétique. Si les fabricants ne font pas l’effort de rester raisonnables, alors c’est la loi qui devra de fait prendre le relais.

 

De plus en plus de cosmétiques « sans gluten »

 

L’affirmation « sans gluten » ne rentre-t-elle cependant pas dans le cadre des allégations parfaitement justifiées pour des raisons de santé publique ? Si elle est visiblement de plus en plus mise en avant en France sur certains produits cosmétiques, cela fait plusieurs années déjà que les cosmétiques sans gluten, dont beaucoup de maquillage, sont un créneau qu’un grand nombre de marques a investi aux USA ainsi qu’en Grande-Bretagne.

A l’été 2014 déjà, le cabinet d’études Mintel avait ainsi constaté au Royaume-Uni une augmentation de 22 % (ensemble du marché, pas seulement les produits naturels), entre 2012 et 2013, du nombre de cosmétiques mettant en avant une formule sans gluten… même si seulement 1 % de l’ensemble des lancements de produits était concerné. Les principaux produits touchés étaient les soins du visage (41 % des produits « sans gluten »), le maquillage (39 %) et les soins capillaires (15 %).

En France, il suffit de « surfer » un peu sur Internet pour constater que la tendance des cosmétiques sans gluten a également atteint notre pays : les blogueuses donnent leurs listes de produits fétiches, les boutiques en ligne (même celles des plus grandes enseignes de la parfumerie !) leur ouvrent des rayons virtuels spécifiques, des ateliers pour fabriquer soi-même ses cosmétiques sans gluten sont proposés, etc.

Après que le sans gluten est devenu une véritable mode en alimentaire (manger sans gluten ferait maigrir, des stars très connues s’y sont mises, etc.), la cosmétique ne pouvait donc que bénéficier à son tour de l’élimination du gluten dans ses formules, non seulement pour toutes les personnes souffrant d’intolérance au gluten, mais aussi pour celles – innombrables - ayant une peau (hyper-)sensible. La cosmétique sans gluten serait donc un énorme progrès pour le bien-être commun.

Seul problème : tout ceci n’est que confusion ajoutée à une situation déjà confuse en alimentaire.

 

Qu’est ce que le gluten ?

 

Pour l’incontournable Larousse (version « Lexis », la plus riche en mots) : le gluten est une « matière visqueuse qui reste quand on a ôté l’amidon de la farine de céréale ». Pour les spécialistes du domaine alimentaire : « La farine de blé est constituée principalement d'amidon et de gluten. Ce dernier est une matière albuminoïde de grande valeur alimentaire, mais surtout possédant des propriétés spéciales - propriétés plastiques à l'état humide - qui lui confèrent un rôle absolument capital en panification, en donnant le gel complexe protéines-amidons qui lève en se dilatant et qui est ensuite coagulé à la cuisson » (Georges Brunerie, Les industries alimentaires et leur organisation rationnelle, Dunod, 1949). Enfin, pour les chimistes, le gluten est un composé associant des protéines (principalement des gliadines et des gluténines) pour 75 à 80 % de son poids sec (la valeur précise dépend des céréales), mais aussi des glucides (c’est-à-dire des sucres) pour 15 à 17 %, des lipides (5 à 8 %) et un peu de minéraux (autour de 1 %). Il faut noter que le gluten proprement dit n’existe pas à l’état naturel dans les céréales : il ne se forme que lorsqu’on hydrate la farine pour en faire de la pâte.

Comme évoqué à l’instant, en boulangerie, l’intérêt du gluten est qu’il donne aux pâtes utilisées en panification des textures et des consistances qui en facilitent le travail et en améliorent les qualités gustatives.

Le problème est que l’on sait aujourd’hui que ce même gluten, lorsqu’il est ingéré, peut entraîner des pathologies particulières.

 

La première est la maladie cœliaque alias cœliaquie ou intolérance au gluten. Il s’agit d’une réaction immunitaire anormale survenant au niveau de l’intestin grêle. Elle provoque une inflammation qui peut endommager la paroi intestinale. Au fil du temps, l’intestin peut ne plus être capable d’absorber certains nutriments, entre autres les vitamines et les minéraux. Aux symptômes digestifs initiaux (diarrhée, douleurs, ballonnements…), souvent doublés de fatigue – et dans 10 à 15 % des cas de symptômes cutanés (dermatite herpétiforme) - peut alors s’ajouter une malnutrition, avec d’autres conséquences éventuelles. Cette maladie toucherait un peu moins de 1 % de la population (soit environ 600 000 personnes en France).

Mais à côté de cette intolérance au gluten, il existe aussi une sensibilité au gluten non cœliaque (SGNC) qui ne doit pas être confondue avec la maladie cœliaque. Les personnes « sensibles au gluten » présentent des symptômes qui ressemblent à ceux de l’intolérance (diarrhée ou constipation, ballonnements, fatigue…) et aussi des douleurs articulaires, des maux de tête, etc. Mais ces symptômes disparaissent rapidement dès qu’on arrête de consommer du gluten, car la paroi intestinale n’est pas lésée. 3 à 6 % de la population seraient concernés.

L’intolérance (alimentaire) au gluten
est une maladie qui touche moins d’1 % de la population (photo Pixabay derneuemann).

Au total c’est donc environ 7 % maximum de la population qui souffrirait soit d’intolérance soit de sensibilité au gluten… ingéré dans l’alimentation. Mais pour les 93 % restants de la population, ne pas consommer du gluten ne change rien… et surtout ne fait sûrement pas maigrir ! L’invasion des produits sans gluten dans les rayons alimentaires des magasins n’est donc qu’une simple opération marketing surfant sur une tendance qui ne se justifie pas du tout pour le plus grand nombre.

Quel rapport alors avec les produits cosmétiques appliqués sur la peau ?

 

Pas d’intolérance cosmétique au gluten au sens strict !

 

Dans les produits cosmétiques, il n’y a pas de gluten proprement dit (qui, comme dit plus haut, apparaît lorsqu’on hydrate les farines pour faire de la pâte de boulangerie/panification), même si y on trouve bien sûr parfois des protéines de blé isolées (ex. gliadine) ou hydrolysées, en plus d’autres dérivés du blé en général (vitamine E, glucides du type dextrine…).

Les protéines de blé hydrolysées ont de nombreux intérêts en cosmétique : elles homogénéisent et stabilisent les émulsions, ont un effet hydratant et ainsi tenseur (raffermissant) sur la peau... Riches en acides aminés et possédant des propriétés filmogènes (apportant douceur et brillance), elles sont entre autres appréciées dans les soins capillaires. Cette action filmogène est également intéressante pour la formulation des produits de maquillage (fonds de teint, mascara…).

 

La taille importante des molécules de protéines de blé, même hydrolysées, fait qu’elles ne peuvent pas traverser la peau et qu’elles ne sont donc pas absorbées. En tout état de cause, pour une personne ne souffrant pas d’intolérance (alimentaire !) au gluten, utiliser des cosmétiques contenant des protéines de blé ne présente en général aucun risque, sauf à avoir une allergie de contact à ces protéines, ce qui n’a rien à voir (voir plus loin).

A l’extrême limite, pour les personnes souffrant d’intolérance (ou éventuellement de sensibilité au gluten), on pourrait craindre une ingestion accidentelle (restes de produit sur les doigts, par exemple) d’un cosmétique (crème visage, produit capillaire, fond de teint…) contenant des protéines de blé, voire une ingestion « inévitable » (rouge à lèvres, dentifrice). Mais les protéines de blé sont loin d’être un ingrédient typique de ces produits ! Alléguer que telle ou telle référence de rouge à lèvres ou de dentifrice ne contient pas de gluten est du même niveau que l’affirmation que les vernis à ongles ne contiennent pas de conservateurs.

Il ne faut pas confondre intolérance alimentaire et allergie de contact (photo Pixabay Kjerstin_Michaela).

En tous cas, il semble qu’aucun étude n’a réellement prouvé que des cosmétiques contenant des protéines de blé (ou d’autres céréales sources de gluten : avoine, orge, seigle…) avait provoqué, en application externe, des réactions inflammatoires de l’intestin chez des personnes souffrant de cœliaquie. Néanmoins, par sécurité donc, il faut éviter d’en avaler même une petite quantité, qui pourrait provoquer les symptômes habituels. D’où l’intérêt, pour ces personnes réellement atteintes de cœliaquie, d’éviter effectivement les cosmétiques contenant des protéines de blé (rouges et baumes à lèvres en premier lieu).

Par contre, chez les personnes simplement sensibles au gluten alimentaire (problèmes digestifs), quelques légères traces de protéines de blé ne portent normalement pas à conséquence.

 

Cosmétiques : attention avant tout (façon de parler) à l’allergie aux protéines de blé

 

Le seul cas qui peut poser réellement problème, avec des cosmétiques contenant des protéines de blé, est celui d’une éventuelle allergie de contact. Ce qui n’a, encore une fois, rien à voir avec l’intolérance (alimentaire) ni même avec la sensibilité (alimentaire) au gluten.

Mais même en cas de problème cutané avec un cosmétique, avant d’accuser ces protéines de blé, il faut être sûr qu’il ne s’agit pas d’une irritation due à un autre ingrédient (irritation et allergie étant deux phénomènes différents). Et s’il s’agit bien d’une allergie et non d’une irritation, et même s’il a été constaté, il y a quelques années, que les allergies dues aux protéines de blé hydrolysées étaient en augmentation (elles ont été classées parmi les « nouveaux allergènes »), faut-il accuser d’emblée ces protéines ?

Certes, 30 % de la population environ souffrirait d’allergies, mais dans 2 cas sur 3, il s’agit d’abord d’allergies respiratoires (dues aux pollens, aux moisissures, aux poils d’animaux…). Ensuite, ce sont les allergies alimentaires qui sont les plus « fréquentes », touchant environ 4 % de la population adulte. Suivent de nombreuses autres allergies, qui concernent les médicaments, le venin d’abeilles ou de guêpes et – enfin - les allergies de contact, dont souffrent environ 1 à 2 % des adultes. Mais ces allergies de contact ne sont pas dues qu’aux cosmétiques, étant également provoquées par le latex (ex. gants), le nickel et le chrome (bijoux, éléments de vêtements), les vêtements (colorants, lanoline de la laine…), etc.

Si l’allergie au blé (à ses protéines) existe, elle reste donc heureusement extrêmement rare. Mais elle provoque en général il est vrai des réactions violentes (œdème de Quincke).

 

Le business de la crainte

 

S’intéresser, comme dit en introduction, à ce qui s’écrit - surtout sur Internet - sur les avantages des cosmétiques sans gluten amène à un constat : les arguments utilisés sont des plus confus, ne reposant en général sur aucune base scientifique : « La peau absorbe 60 % de ce qu’on y applique » (oui, mais tout dépend de la taille de la molécule) ; « 30 % des Français sont intolérants ou "hypersensibles" au gluten » (d’où sortent ces chiffres en contradiction avec ceux majoritairement diffusés ?) ; « Le gluten dans les cosmétiques peut provoquer de l’ostéoporose, de l’infertilité… » (??!) ; « Il faut éviter la vitamine E naturelle extraite de germes de blé car elle peut contenir du gluten » (les protéines ne sont pas solubles dans la vitamine E qui est un liquide huileux, est obtenue à partir d’une autre partie du grain de blé, et est bien sûr purifiée) ; « Utiliser des produits bio ou vegan est le meilleur moyen de trouver des cosmétiques sans gluten » (le blé ne serait-il pas vegan ?) ; « Si on a une peau hypersensible, réactive ou eczémateuse, il faut éviter le gluten » (non : seules les personnes allergiques, de façon certaine, aux protéines de blé courent un risque)…

Arrêtons là cette liste, suffisante pour montrer les limites des arguments déployés par nombres d’avocat(e)s des cosmétiques sans gluten. De toute évidence, derrière cette tendance - cette mode peut-on dire - se cache avant tout un très profitable business, basé sur les craintes des consommateurs.

Il faut donc savoir raison garder et ne pas se laisser abuser sans réfléchir : les cosmétiques sans gluten n’ont d’intérêt - par pure principe de précaution et avant tout avec les produits pouvant être avalés (soins divers des lèvres en premier) - que pour le 1 % de personnes qui souffrent réellement d’intolérance au gluten (médicalement confirmée), c’est-à-dire de maladie cœliaque. Des personnes qui d’ailleurs sont susceptibles d’être encore plus concernées par une éventuelle allergie de contact aux protéines de blé, leurs défenses immunitaires pouvant éventuellement être affaiblies.

 

Seules les rares personnes souffrant d’une intolérance au gluten médicalement avérée doivent éviter, par précaution, les cosmétiques contenant des protéines de blé, surtout ceux susceptibles d’être ingérés (images Pixabay kaboompics et Kurious).

 


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