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Parfois avec une réelle approche éthique de naturalité, mais parfois aussi avec des formulations offrant un « service minimum » c’est-à-dire avec juste quelques ingrédients naturels, en général des plantes, le reste étant toujours basé sur la chimie du pétrole. Le « greenwashing » était né, continuant ensuite à perdurer malgré – ou en raison de – l’apparition des certifications de cosmétique bio. Aujourd’hui, face au succès du bio certifié, les marques conventionnelles imaginent de nouvelles armes : après la norme ISO 16128 arrive la notion de « clean cosmétique »

60 ans de « greenwashing »

La cosmétique naturelle et/ou bio de qualité ne date pas d’aujourd’hui : certaines marques certifiées ont plus de 50 ou 60 ans, voire bien plus. Mais d’autres entreprises surfèrent dès la même époque sur le fait qu’une certaine frange des utilisateurs avait de plus en plus envie de faire confiance, pour leur beauté, à la nature en général et aux plantes en particulier. Pendant des années cohabitèrent ainsi des cosmétiques qualifiés de « naturels », les uns correspondant réellement à cette appellation, les autres restant donc, comme évoqué en introduction, essentiellement basés sur des ingrédients issus de la chimie du pétrole, avec juste un petit « saupoudrage vert ».

Il fallut attendre l’arrivée des cahiers des charges de cosmétique naturelle et/ou bio privés mis en place par les associations nationales pour que l’offre commence à se clarifier : Nature & Progrès (France, 1998), BDIH (Allemagne, 2001), Cosmébio (2002), Ecogarantie (Belgique, 2005), etc. Sans oublier les certifications internationales, à savoir NaTrue (née en 2006) et Cosmos (développée à partir de 2011 mais obligatoire depuis le 1er janvier 2017 pour les fabricants membres des associations ayant participé à son élaboration).

Les chiffres de croissance du marché de la cosmétique naturelle et bio certifiée étant de loin supérieurs à ceux de la cosmétique conventionnelle (qui stagne depuis des années) - même si cette cosmétique naturelle et bio ne représente encore, pour l’instant, qu’un marché de niche (moins de 10 % des ventes ?) - les fabricants conventionnels ont très vite essayé de prendre leur « part du gâteau ».

Pratiqué depuis une soixantaine d’années, le « greenwashing » a trouvé son nom au milieu des années 2000 (PublicDomainPictures via Pixabay).

C’est ainsi qu’ils s’approprièrent rapidement, à partir du début des années 2000, les allégations du type « sans…. », se contentant bien sûr de mettre en avant l’absence des composants les plus médiatisés et controversés (comme certains conservateurs bien précis, par exemple les parabènes, ou encore les sulfates ou, parfois, les silicones) et à l’inverse la présence de quelques ingrédients naturels « rassurants » (plantes, huiles végétales…), oubliant de préciser que l’essentiel de leurs formules restaient d’origine pétrochimique.

Pour désigner cette pratique consistant à se faire plus « vert » - c’est-à-dire plus écologique qu’on ne l’est réellement - le terme « greenwashing » (traduit en français par « écoblanchiment », à l’image du « blanchiment de l’argent sale ») se répandit en France à partir du milieu des années 2000, dans tous les domaines industriels (il était apparu dans les pays anglophones au courant des années 1990)

Pour la cosmétique, le summum en la matière a sans doute été atteint avec la norme ISO 16128, devenue applicable fin 2017, établissant des « lignes directrices relatives aux définitions techniques et aux critères applicables aux ingrédients et produits cosmétiques naturels et biologiques ». Car cette norme, qui n’est pas un label de certification et est largement critiquée par les acteurs historiques de la cosmétique naturelle et bio, a été élaborée par les fabricants conventionnels désireux d’imposer leur propre définition, plus que douteuse, de la cosmétique naturelle .

Comment vendre du pseudo-naturel sans employer le mot « naturel » ?

L’intérêt des consommateurs pour une cosmétique plus sûre, plus saine et donc plus naturelle ne faiblissant pas, et lesdits consommateurs étant de plus en plus sensibles aux allégations de type « sans » (utilisées initialement par les marques certifiées), face à certains abus réels (comme alléguer l’absence d’ingrédients qui de toute façon n’ont pas à être présents dans un produit donné), les instances européennes ont fini par vouloir mettre un peu d’ordre dans tout cela. D’où le « Document technique sur les allégations cosmétiques » européen, entré en vigueur le 1er juillet 2019 et préconisant l’interdiction de la plupart de ces allégations « sans ».

Quoi qu’il en soit, cette « interdiction » de la plupart des allégations « sans » depuis le 1er juillet 2019, mais prévue depuis quelques années, apporte une nouvelle donne. Car si Cosmébio estime que cette interdiction est une attaque directe contre la cosmétique certifiée, elle vise bien toutes les marques, bio ou non. Comme écrit dans notre article sur le sujet, le « handicap » créé par l’interdiction des allégations « sans » est le même pour tout le monde.

Pour les fabricants conventionnels, comment, dès lors, faire passer le message qu’on est une marque « sans » ingrédients controversés médiatisés, alors qu’en raison des autres ingrédients, majoritairement non naturels, il n’y a aucune possibilité d’être certifié selon un référentiel reconnu type Cosmos/Cosmébio ou NaTrue ? Affirmer qu’on fait de la cosmétique naturelle ?

Non, car en France, selon les recommandations de l’ARPP - « Autorité de Régulation Professionnelle de la Publicité », autrefois « Bureau de vérification de la publicité », qui publie depuis 1974 des règles de déontologie pour toutes les branches de l’industrie et du commerce - l’appellation « produit cosmétique naturel » est uniquement autorisée pour un produit « si son contenu naturel / d’origine naturelle, au sens de la norme ISO 16128 ou de tout autre référentiel au moins aussi exigeant, est supérieur ou égal à 95 % »

La norme ISO 16128 pourrait ainsi être une solution, mais elle nécessite malgré tout de se conformer à certaines obligations, même si elles sont bien moins exigeantes que les référentiels bio. Et puis, sans doute, « Norme ISO 16128 » cela fait très « technique » et peu vendeur, sans parler du risque de confusion avec les milliers d’autres normes ISO, peu connues des consommateurs, qui n’ont rien à voir avec ce type de produits. Juste quelques exemples de normes dont les références sont proches : la norme ISO 128 concerne les principes généraux de représentation des dessins techniques, la ISO 1628 la détermination de la viscosité de polymères (plastiques) en solution ou la ISO 16127 la… prévention de l'éclatement des engins spatiaux non habités !

En clair, face à des certifications bien établies comme Cosmébio, NaTrue ou Nature & Progrès (ce que l’ARPP entend par « tout autre référentiel au moins aussi exigeant »), difficile de « vendre » au consommateur de la « norme ISO »…

Les marques conventionnelles qui restent basées sur la chimie ont donc imaginé une solution évitant d’utiliser la notion de cosmétique naturelle (ou bio) et ne nécessitant pas de se soumettre à un cahier des charges, même très « large » comme la norme ISO 16128 : elles ont inventé la notion de « clean cosmétique » (« cosmétique propre ») !

Après le « green », le clean !

Le mot « clean » n’est pas innocent : cela fait quelques années que la tendance du « clean label » (étiquetage, c’est-à-dire composition propre) a fait son apparition en alimentaire, même en bio. Elle consiste notamment à n’employer que le minimum d’ingrédients nécessaires, sans additifs et autres composants pas forcément utiles (arômes, colorants…), surtout ceux qui inquiètent les consommateurs (par exemple les conservateurs, alors que pourtant ceux-ci sont bien souvent très utiles et loin d’être systématiquement dangereux !).

Ce qui inquiète les consommateurs, notamment en cosmétique, ce sont certains ingrédients précis. Mais vu que la plupart des marques conventionnelles n’ont tout simplement pas l’intention de se plier aux exigeants cahiers des charges bio, ni donc même à la bien moins rigoureuse norme ISO 16128, et comme elle ne peuvent donc pas se prétendre « naturelle » et encore moins « bio » (le naturel en tant que tel ne les intéresse d’ailleurs pas, de toute évidence), elles jouent sur les mots, reprenant ainsi à leur compte cette notion de « clean », bien aidées par certains médias peu regardants sur le fond du sujet. Pour ces médias « beauté clean » et « beauté verte » ce serait en sorte « bonnet blanc » et « blanc bonnet », avec la seule nuance que les produits « clean », supposés tout aussi sûrs que ceux qui sont bio, ne sont pas (n’ont pas besoin d’être…) certifiés !

 

« Si, si, je vous l’affirme en toute sincérité : mes cosmétiques sont "clean". Une certification ? Pourquoi faire ? » (image PublicDomainPictures via Pixabay).

Il n’y a bien sûr aucune définition officielle pour cette « clean cosmétique », chaque marque décidant de son propre chef ce qu’elle considère comme étant un ingrédient « propre » ou pas ! Là est bien le problème : ce qui sera « clean » pour une marque ne le sera pas pour une autre, et inversement… Et cela ne les empêche pas de continuer à utiliser majoritairement des produits issus de la pétrochimie, entre autres.

Cette nouvelle « famille » (?) de cosmétiques, notion purement marketing, n’en est qu’à ses débuts, à n’en pas douter. En Allemagne notamment, une chaîne bien connue de parfumeries (également présente en France), a déjà mis en place, début 2019, des corners spécifiquement dédiés à la « clean cosmétique », selon des « normes » qui lui sont personnelles bien sûr.

En fait, on revient tout simplement au flou absolu qui régnait il y a plus de vingt ans, avant l’apparition des premiers cahiers des charges de cosmétique naturelle ou bio, quand des marques se prétendaient « naturelles », sans le moindre encadrement technique ou légal. C’est donc une énorme porte ouverte au greenwashing… et surtout une impossibilité totale pour le consommateur de s’y retrouver ! Quel recul !

Qu’on ne s’y trompe pas, la seule vraie cosmétique naturelle « propre », idéalement bio, reste celle garantie par les cahiers des charges « pionniers », comme Cosmos/Cosmébio, NaTrue, Nature & Progrès ou Demeter, pour ne citer que les plus connus. A l’instar de la norme ISO 16128, la « clean cosmétique » n’est qu’une façon de séduire les consommateurs recherchant des produits à la fois respectueux de la santé et de l’environnement en leur vendant néanmoins des produits qui, à bien y regarder, ne répondent en fait pas réellement à cette attente.

Certaines chaînes de parfumerie commencent à proposer des corners dédiés à la « clean cosmétique » (image Bruno Sonderegger via Wikimedia Commons).


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