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Ingrédient présent dans de nombreux produits cosmétiques, en particulier en cosmétique certifiée naturelle et bio, l’alcool suscite souvent de nombreuses inquiétudes, notamment en raison des informations diffusées par de nombreux blogs. Mais est-il aussi critiquable qu’on l’entend ? Une petite « explication de texte » s’impose.

 

Il y a alcool… et alcool

Pour bien comprendre, il faut « malheureusement » faire un peu de technique. Chimiquement parlant, un alcool est un composé organique (c’est-à-dire entre autres une molécule qui contient du carbone et de l’hydrogène) sur lequel est fixé un « radical » (une branche de molécule) OH (soit un atome d’oxygène lié à un atome d’hydrogène), dit « groupe hydroxyle ». C’est le nombre d’atomes de carbone dans la chaîne de base de la molécule qui donne leur nom aux alcools, en rajoutant la terminaison –ol au nom de cette de chaîne de base, qui est au naturel soit un gaz soit un liquide. Ainsi le méthanol (ou alcool méthylique) est dérivé du méthane (gaz), l’éthanol (alcool éthylique) de l’éthane (gaz), le propan-1-ol (alcool propylique) et le propan-2-ol (alcool isopropylique) du propane (gaz), le phényl-méthanol (alcool benzylique) du phényl-méthane (alias méthylbenzène ou toluène, liquide), etc.

Mais il ne s’agit en fait d’un alcool que lorsque ce radical OH est fixé sur un carbone dit « saturé » (c’est à dire que toutes ses « liaisons » chimiques sont occupées, un atome de carbone pouvant être lié au maximum à quatre autres atomes). Lorsque ce carbone n’est pas saturé, par exemple formant ce que l’on appelle un « cycle aromatique », la molécule n’est pas un alcool au sens strict mais un phénol (appelé aussi « alcool aromatique »). Alcools et phénols n’ont pas les mêmes propriétés physico-chimiques. Très présents dans le monde végétal, certains phénols sont connus pour leurs propriétés intéressantes : flavones, anthocyanes, tanins…

Exemples des trois chaînes carbonées les plus courtes et de leur équivalent alcool (Fond d’image Pixabay Hans).
 

Parmi les « vrais alcools » figurent également, point très important, des « alcools gras », dont les noms INCI sont du type Cetearyl-, Cetyl-, Stearyl- ou Behenyl Alcohol. On les trouve aussi décrits sous des noms génériques, comme alcool cétéarylique, cétylique, stéarylique ou encore dodécanol, tétradécanol, hexadécanol, octadécanol, docosanol, etc. Les alcools à chaîne courte (entre 1 et 7 atomes de carbone, comme l’éthanol ou le méthanol) sont en effet des liquides fluides, solubles dans l’eau. Mais plus la chaîne est longue, plus ils sont épais (huileux) et moins ils sont solubles dans l’eau, voire non miscibles. A partir de 16 atomes de carbone, ils sont solides. C’est à partir de 8 atomes de carbone (octanol) que l’on parle d’alcool gras.

 

La glycérine est aussi un alcool, avec ses avantages et ses risques (Photo Wikimedia Commons Thanud).
 

Les alcools non gras, ceux auxquels le consommateur pense en fait dans la plupart des cas, sont en général soit consommés comme aliment (boissons : alcool éthylique) soit utilisé comme composé industriel (cosmétiques, produits ménagers, antigel, dissolvants, combustibles…). L’alcool alimentaire est exclusivement produit par fermentation (fruits, céréales…), alors que l’alcool industriel est quant à lui un produit de la chimie du pétrole (ex. pour l’éthanol à partir d’éthylène).

A noter que la glycérine (glycérol) et les édulcorants (substances à pouvoir sucrant) du type polyols (sorbitol, xylitol, mannitol, maltitol…) sont aussi des alcools ! Mais des « polyalcools », car contenant plusieurs groupes –OH. La notion d’alcool recouvre donc des réalités différentes, avec des molécules aux propriétés également très différentes.

 

Pourquoi de l’alcool dans les cosmétiques ?

Cette longue introduction technique s’imposait, car on constate souvent une confusion entre tous les différents types d’alcool présents dans les cosmétiques. Pour les alcools gras, c’est simple : toujours d’origine végétale dans le cas de la cosmétique certifiée (ils peuvent sinon par ailleurs être aussi dérivés du pétrole), ce sont des ingrédients qui apportent beaucoup à la peau et au confort des produits. En fonction de leur nature, ils jouent en effet un rôle d’émollient (assouplissant et adoucissant la peau), de protection/hydratation de la peau, d’agent favorisant ou stabilisant les émulsions, peuvent améliorer la qualité des mousses opacifier un produit, contrôler sa viscosité, etc. Autre exemple d’alcool utile : l’alcool benzylique, qui peut être entre autres utilisé comme conservateur (autorisé par les cahiers des charges Cosmébio, Cosmos, NaTrue, BDIH), mais qui peut également apparaître dans les formules car « composé à déclaration obligatoire » (étant classé comme allergène potentiel) naturellement contenu dans certaines huiles essentielles utilisées comme ingrédients (parfumants notamment).

C’est l’éthanol (ou alcool éthylique, l’alcool alimentaire) qui peut susciter des interrogations. On le trouve aussi bien dans des crèmes visages et corps que dans des toniques visage, des shampooings et après-shampooings, des dentifrices, etc. Son dosage peut aller jusqu’à 10-12 % de la phase aqueuse environ dans les émulsions voire 20 % dans les toniques, avec un intérêt multiple. Au niveau de la peau c’est à la fois un tonifiant, un actif rafraîchissant, astringent, antibactérien, un stimulant de la microcirculation. Il facilite l’action des actifs, car il pénètre la barrière cutanée où il augmente leur solubilité. Côté formulation, c’est un conservateur à spectre large, permettant souvent de se passer totalement de conservateur au sens strict dans un produit, il peut servir de solvant et donc de véhicule pour de nombreux actifs (extraits alcooliques de plantes), etc.

 

Inconvénients potentiels de l’alcool

Le principal reproche fait à l’éthanol est qu’il est irritant (apparition de rougeurs) et surtout desséchant car dégraissant (peau ou cheveux). Pouvant effectivement dissoudre les lipides, il peut ainsi endommager le film hydrolipidique protecteur de la peau (sébum), et effectivement assécher et donc irriter. A noter cependant que l’alcool n’est pas en lui-même asséchant/irritant, contrairement à d’autres substances agressives : cet effet négatif n’est qu’une conséquence de son action dégraissante. On peut lire parfois que certains toxicologues souhaiteraient le voir classé parmi les substances CMR (cancérigènes, mutagènes et reprotoxiques), mais les effets constatés, bien réels certes, ne concernent que l’ingestion orale à forte dose chez des personnes alcoolisées. Donc aucune inquiétude à avoir en cosmétique !

 

La dénaturation de l’alcool

Un autre reproche qui est parfois fait est celui de la dénaturation de l’éthanol. Pourquoi et comment fait-on cette dénaturation ? L’ajout d’agents dénaturants vise à éviter que l’éthanol à usage industriel (non taxé) soit utilisé comme alcool alimentaire (qui est lui frappé d’une taxe appelée accise). C’est donc uniquement pour des raisons fiscales que l’éthanol est dénaturé, ce qui se fait par l’ajout de substances empêchant (a priori) qu’il puisse encore servir de boisson, en changeant son goût (avec un amérisant par ex.), son odeur voire sa couleur, et en ajoutant un marqueur chimique pour identifier aisément cet alcool dénaturé.

Les dénaturants typiquement utilisés sont des glycols, du méthanol et/ou encore le diéthyle phtalate (DEP), dont les effets néfastes sur la santé sont connus. Il est également possible, mais c’est plus onéreux, de dénaturer l’alcool avec des huiles essentielles, dont le parfum doit bien entendu ne pas être le même que celui de certains spiritueux (les huiles essentielles de citrus ne sont ainsi pas acceptées). Les fabricants de cosmétique naturelle utilisent par exemple l’huile essentielle de lavande ou du thymol de thym. Rien n’interdit d’utiliser de l’alcool non dénaturé dans un cosmétique (parfums surtout), mais dans ce cas, ce produit est soumis au droit d’accise, ce qui influe sur son prix final. Quoi qu’il en soit, les alcools dénaturés utilisés en bio ne posent pas plus de problème que ceux non dénaturés.


Ami ou ennemi ?

Au final, seul l’effet desséchant/irritant peut éventuellement inquiéter, mais tout est une question de dosage et de formulation. L’alcool présent en fin de liste INCI ne présente pas une concentration suffisante pour perturber la peau. S’il est en tête de liste, il faut relativiser : des études cliniques ont montré qu’aucun effet desséchant n’était constaté jusqu’à une concentration de 20 % d’alcool dans la phase aqueuse des émulsions, et que la tolérance était donc très bonne. Sans oublier qu’une bonne partie de l’alcool s’évapore dès l’application ! D’ailleurs, il existe même des produits de cosmétique naturelle qui ont pu être classés « hypoallergéniques », et d'autres à la tolérance cutanée vérifiée cliniquement même sur des peaux sensibles et allergiques, conservés uniquement avec de l'alcool… C’est donc la preuve que celui-ci n’est pas aussi « agressif » qu’on le lit régulièrement.

Car l’effet asséchant peut être compensé par la présence dans la formule (émulsions notamment) d’autres ingrédients hydratants et nourrissants. A noter que la glycérine, pourtant louée pour être un excellent hydratant cutané, présente des caractéristiques identiques à celles de l’éthanol (rappelons que la glycérine est un polyalcool) : à concentration raisonnée, elle hydrate la peau et les cheveux, et à concentration élevée, elle dessèche fortement !

En général, les formulateurs savent utiliser l’éthanol avec prudence, pour bénéficier des ses qualités réelles (dont celle de pouvoir parfois se passer de conservateurs). Tout le monde n’étant pas sensible à l’éthanol, il n’est pas nécessaire de fuir les cosmétiques certifiés en contenant. Seules quelques catégories d’utilisateurs doivent être prudentes voire s’en passer : les personnes à la peau vraiment très sèche et/ou très sensible, celles à la peau grasse (à cause de l’effet rebond que peut provoquer un dégraissage trop puissant de la peau : l’alcool éliminant le sébum, la peau va en produire encore plus) et enfin et surtout les bébés et jeunes enfants, dont la peau est fine et perméable.

 
La peau des bébés est celle pour laquelle il faut éviter d’employer des cosmétiques contenant de l’alcool (Photo Pixabay derbocholter)

 


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