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« Sans huile de palme ». Cette courte phrase est quasiment devenue une obligation dans la communication des fabricants de produits alimentaires qui ne veulent pas perdre les nombreux consommateurs ayant décidé de rayer cet ingrédient de leur « liste de courses ». La raison en est double : l’huile de palme est à la fois accusée d’accélérer la déforestation et d’être un aliment préjudiciable à la santé. Qu’en est-il exactement ?

 

Qu’est-ce que l’huile de palme ?

Les huiles végétales (ainsi que les beurres végétaux) sont fabriquées à partir des plantes dites oléagineuses. Pour ce faire, on presse en général leurs graines ou leurs noyaux, qui sont riches en lipides : abricot, amande, arachide, cacaoyer, colza, coton, lin, noix, raisin, ricin, soja, tournesol… Mais dans quelques cas, c’est le fruit qui est pressé. Plus précisément, il s’agit du pressage du mésocarpe, la chair molle des drupes, nom scientifique des fruits charnus à noyaux. Un mésocarpe qui entoure le noyau et donc la graine. Parmi ces oléagineux dont on presse le mésocarpe, ou pulpe, figurent l’olivier et le palmier à huile (Elaeis guineensis).

Le palmier à huile étant un arbre tropical, il pousse dans les régions proches de l'équateur, les principaux pays d’origine étant l’Indonésie et la Malaisie (80 % de la production mondiale), auxquels il faut ajouter d’autres pays en Amérique latine et en Afrique de l'Ouest.

Il ne faut d’ailleurs pas confondre l’huile de palme (palm oil en anglais), extrait du mésocarpe, et l’huile de palmiste (palm kernel oil), extraite de « l’amande » du noyau (graine) après son séchage. Sur la quantité d’huile produite par le fruit du palmier à huile, environ 90 % est de l’huile de palme et 10 % d’huile de palmiste.


Coupés en deux, ces fruits du palmier à huile montrent d’une part la pulpe d’où est extraite l’huile de palme et d’autre part, au centre du fruit, l’amande dont on tire l’huile de palmiste (Photo Pixabay feelphotoz).
  Si on retrouve logiquement certains acides gras à la fois dans les deux huiles (acides myristique, palmitique, stéarique, oléique, linoléique), leur composition globale est cependant différente. L’huile de palmiste contient en effet en moyenne 82 % d’acides gras saturés, 15 % d’acides gras mono-insaturés et 3 % d’acides gras polyinsaturés. Quant à l’huile de palme, elle contient en moyenne 49 % d’acides gras saturés, 37 % d’acides gras mono-insaturés, 9 % d’acides gras polyinsaturés et 5 % d’autres composés gras.

Mais sachant que plus il y a d’acides gras saturés à longue chaîne, plus un lipide est solide, c’est en fait l’huile de palme qui est la plus épaisse : sa température de fusion (c’est-à-dire température jusqu’à laquelle elle reste solide) se situe en effet entre 36 et 40°C, alors que celle de l’huile de palmiste se situe entre 23 et 30°C. L’huile de palme est donc solide (mais malléable) à température ambiante.
Ces deux « huiles » sont en fait des « graisses végétales concrètes », comme le beurre de cacao ou le l’huile de coprah (noix de coco).


Outre une teneur intéressante en anti-oxydants du type vitamine E (tocophérols et tocotriénols), stérols et flavonoïdes, l’huile de palme brute est riche en bêta-carotènes (15 fois plus que la carotte) et est ainsi de couleur rouge. Pour l’usage alimentaire et cosmétique, elle est cependant raffinée, perdant sa couleur (le bêta-carotène est fragile) mais relativement peu ses autres anti-oxydants.

Hormis un usage traditionnel (alimentaire) dans ses pays d’origine, l’huile de palme rouge non raffinée est peu utilisée. Pour l’usage industriel, l’huile de palme est donc raffinée (décolorée, désodorisée), peut être fractionnée (pour donner de l’oléine, fraction liquide, et de la stéarine, fraction solide), hydrogénée (procédé qui permet de la rendre moins sensibles à l’oxydation et donc de la conserver plus longtemps, et qui la rend aussi encore plus solide), ou encore interestérifiée (procédé qui ne modifie pas la composition globale en acides gras mais change ses propriétés de fusion).

Plus ou moins modifiée, l’huile de palme est utilisée dans l’industrie chimique et pétrolière (encres, plastiques, carburants type biodiesel), alimentaire (comme épaississant, texturant), cosmétique et pharmaceutique (hydratant, émollient, épaississant, texturant, bases lavantes, émulsifiants, antioxydants…).


Palmiers à huile (Photo Marco Schmidt via Wikimedia Commons).
  L’huile de palmiste est utilisée dans l’alimentation du bétail (source d’énergie bien digestible) et également dans l’industrie cosmétique et pharmaceutique. Dans les produits cosmétiques, où une déclaration très précise des ingrédients (INCI) est obligatoire, l’huile de palme (ou plutôt ses dérivés) peut se « cacher » derrière des noms chimiques complexes (mais qui ne signifient pas forcément que la matière première végétale d’origine était toujours de l’huile de palme ou de palmiste) : Lauryl Sodium Sulfate, Palmitic Acid, Stearyl Alcohol, Palmityl Alcohol, Ascorbyl Palmitate, Cetyl Alcohol, Cetyl Palmitate, Dodecanol, Palm Kernel Glycerides, Palm Stearine, PEG Stearate, etc. etc. Certains de ces ingrédients, et d’autres encore, se retrouve aussi en alimentaire, avec aussi des noms « complexes », comme les émulsifiants E430 et E431 (stéarate), E432 (monolaurate), E433 (monooléate), E434 (monopalmitate), E471 (monopalmitate, monostéarate, monooléate…) et E472 (esters d’acides gras).

 

Quel est l’intérêt de l’huile de palme ?

Les principaux usages industriels de l’huile de palme viennent d’être rappelés. Un de ses principaux avantages est que le rendement à l’hectare et donc la rentabilité d’un palmier à huile sont de loin supérieures à la plupart des autres oléagineux : à surface égale, on obtient par exemple 10 fois plus d’huile de palme que d’huile de soja, de colza ou de tournesol. Son prix de revient est donc très bas. Outre ses caractéristiques de texturant/épaississant très intéressantes en alimentaire (donnant en autres naturellement de l’onctuosité), le fait qu’elle résiste très bien aux chauffages élevés, son goût quasiment neutre ou encore sa capacité à être transformée en de nombreux autres ingrédients, sa bonne résistance à l’oxydation (et donc au rancissement) sont autant d’avantages techniques.

Sa texture naturellement épaisse évite d’ailleurs à avoir recours à l’hydrogénation d’autres huiles végétales. Or non seulement l’hydrogénation est un process onéreux, mais en plus elle produit des acides gras trans nocifs pour la santé : l’huile de palme n’en contient pas.

 

L’huile de palme est-elle mauvaise pour la santé ?

Comme dit à l’instant, l’huile de palme ne contient pas d’acides gras trans, ces acides gras insaturés dont une consommation excessive est liée de façon nette à une augmentation du risque cardio-vasculaire. De plus, les tocotriénols qu’elle contient exercent une action positive sur l’athérosclérose (perte d'élasticité des artères).

Pourtant, on entend souvent que sa consommation est quand même préjudiciable à la santé car ses acides gras à longue chaîne, bien que n’étant pas trans, augmenteraient quand même le taux de mauvais cholestérol (LDL-cholestérol), même si c’est de façon réduite en comparaison des acides gras trans. Mais certaines études ont montré que ses effets sur le LDL-cholestérol seraient en fait proches de ceux des huiles d’olive, arachide et tournesol oléique, inférieurs à ceux de l’huile de coco ou de matières grasses animales comme le beurre ou le lard. D’autres études montrent par contre qu’il n’y a pas forcément un lien direct - notamment chez les personnes jeunes et/ou de poids normal, et qui ont par ailleurs un apport suffissant de bons acides gras polyinsaturés – entre consommation d’huile de palme et maladies cardio-vasculaires.

En fait, au-delà des querelles d’experts médicaux, bannir l’huile de palme pour des raisons nutritionnelles et de santé ne sert à rien si on continue entre autres à manger des aliments riches en beurre ou de la charcuterie grasse par exemple, et si on n’a pas un mode de vie équilibré. Car les acides gras saturés ne sont pas dangereux en soi, contrairement aux acides gras insaturés trans… Il est donc inutile d’accuser l’huile de palme de tous les maux (et les industriels de l’employer de façon « sournoise et cachée » dans les aliments transformés) si par ailleurs on n’a pas une diète raisonnable et une vie saine. Mais ce n’est pas pour autant pour cela que lesdits industriels doivent se permettre d’en mettre partout !  



Comme l’a souligné le Prof. Jean-Michel Lecerf de l’Institut Pasteur de Lille lors d’une présentation il y a quelques années, l’huile de palme n’est pas l’huile idéale, car « il n’existe pas d’huile idéale » : « Elle a des avantages nutritionnels et technologiques issus de sa composition » mais « sa consommation excessive ne serait pas souhaitable, en particulier en cas de population et de style alimentaire à risque ». Il soulignait que son emploi, comme dit plus haut, « permet de réduire l’hydrogénation partielle et donc l’apparition d’acides gras trans ». Pour lui, il faut appliquer le principe de subsidiarité, c’est-à-dire « faire mieux quand on peut et l’utiliser quand on ne peut pas faire mieux ».

 

L’impact environnemental et social de l’huile de palme

En fait, le problème principal de l’huile de palme est bien sa production, et pas seulement parce que celle-ci « prive les orangs-outans » de leur habitat naturel dans les deux principaux pays de production que sont la Malaisie et l’Indonésie. C’est d’ailleurs toute la flore et la faune des régions où sont créées des plantations de palmiers à huile qui sont concernées, comme la mise en danger, à Sumatra (Indonésie), de la survie des espèces locales de tigre et de rhinocéros.

Outre cette catastrophe pour la biodiversité que représente la production d’huiles de palme et de palmiste, la déforestation (y compris de forêts qui étaient pourtant classées « parc national », comme en Indonésie !) a également un impact négatif sur l’émission de gaz à effet de serre, les arbres de la forêt naturelle ne pouvant plus jouer leur rôle d’absorbeurs de CO2 et les tourbières détruites libérant elles-mêmes de grandes quantités de CO2, de même que le bois défriché qui est brûlé. Sans parler de la pollution provoquée directement ou indirectement par le travail agricole (machines, rejet de méthane par les raffineries d’huile, usage de pesticides et engrais azotés…).

Très souvent, on met dans la balance le fait que cette agro-industrie a donné du travail à des milliers de familles et permis d’augmenter leurs revenus, ce qui « contribue au développement économique et social » non seulement au niveau individuel mais aussi national des pays concernés. Mais les populations locales qui vivaient dans des zones préalablement consacrées à d’autres cultures ou vivant de la forêt ont été chassées, parfois sans aucune compensation, les droits des indigènes étant donc régulièrement bafoués. Un problème qui concerne tous les pays de la planète où le palmier à huile est cultivé. Ces déplacements de population, outre les problèmes éthiques et sociaux qu’ils impliquent, ont aussi comme conséquence une perte des traditions et cultures (au sens intellectuel du terme) locales.  



Si en Afrique ce sont majoritairement des petits producteurs qui cultivent le palmier à huile, en Indonésie et en Malaisie par contre, ceux-ci sont minoritaires et ce sont des grosses sociétés « qui font la loi », avec tous les excès possibles dans les grandes plantations : main d’œuvre immigrée sous-payée, mauvaises conditions de travail… On constate également de fréquents problèmes de santé chez les populations locales, liés à la pollution environnementale provoquée par les plantations (sols et eaux).

 

La certification « Huile de palme durable »

Certes, localement, il existe des programmes positifs, comme celui de la FAO au Kenya (globalement, la production serait plus durable en Afrique de l’Ouest) et le rythme de la déforestation se serait ralenti en Malaisie par exemple. De plus, depuis 2004, une certification dite CSPO pour « certified sustainable palm oil » (huile de palme certifiée durable) a été mise en place par un organisme baptisé RSPO (Roundtable on Sustainable Palm Oil soit « Table ronde sur l'huile de palme durable »). Celui-ci, né à l’initiative du WWF, rassemble plusieurs ONG et des professionnels de la branche. Le but de cette certification est de garantir une meilleure transparence, une préservation des ressources naturelles et de la biodiversité, ainsi que le respect des employés. A l’heure actuelle cependant, seule une part minoritaire de la production mondiale est certifiée CSPO.

Si cette certification présente certaines avancées, d’autres ONG - n’adhérant pas pour cela à la RSPO – en critiquent de nombreux aspects, comme l’absence de garantie réelle sur des points majeurs : déforestation, conversion des tourbières, gestion des gaz à effet de serre, ou encore le fait que la monoculture n’est pas interdite. De plus, il existe en fait 4 niveaux de certifications, le premier étant peu exigeant, car il ne garantit pas la traçabilité de l’huile de palme utilisée. Pour beaucoup, la crédibilité de cette certification est donc limitée, poussant plusieurs entreprises agro-alimentaires d’envergure internationale à faire pression sur leurs fournisseurs pour qu’ils s’engagent plus clairement, par exemple dans une démarche « zéro déforestation ».

Signalons enfin que plus de 40 % de l’huile de palme produite (tous usages, y compris agro-carburants) est consommée par l’Inde, l’Indonésie et la Chine. L’Union Européenne n’en importe environ que 10 % et la France quelques % à peine. Trouver une solution aux problèmes que pose la production d’huiles de palme et de palmiste n’est donc malheureusement pas un combat qui trouvera sa solution de façon simple dans notre caddie.


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