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Les plantes, aujourd’hui comme autrefois, sont une source inépuisable d’actifs susceptibles d’améliorer notre bien-être et même de guérir les maladies, parfois les plus graves. D’autant plus qu’il en existerait encore des millions qui nous restent inconnues. A l’heure actuelle, les scientifiques bénéficient d’un ensemble de techniques et surtout de matériels d’analyse hautement sophistiqués leur permettant de déceler, au plus profond des plantes, une ou plusieurs molécules, puis d’en déterminer le potentiel pharmacologique. Mais comment on fait nos aïeux, il y a des siècles voire des millénaires, pour savoir l’usage thérapeutique que l’on pouvait faire d’une plante donnée ?

 

Similia similibus curantur

A l’époque où l’Homme découvre le pouvoir des plantes, l’observation joue un rôle essentiel. On observe ainsi les animaux manger les plantes, et l’effet qu’elles peuvent avoir sur eux, positif ou négatif. On observe aussi (on « écoute ») ce que nos sens nous disent : parfum et aspect, voire goût (on peut toujours recracher rapidement !) ne sont pas sans être pour nos aïeux des signaux d’appel ou de rejet. Mais surtout, ce qui fut très longtemps généralisé, on peut observer l’aspect des plantes, à la fois leur apparence externe et leur biotope, en les comparant avec des aspects touchant les humains.

C’est dans l’Antiquité qu’apparaît cette idée que les plantes ou parties de plantes ressemblant à certaines parties du corps humain peuvent servir soigner les maux concernant ces parties de corps : « Similia similibus curantur » (les semblables soignent les semblables). Notons qu’une autre approche de cete notion de similitude, mais dans une autre « direction » - soigner le mal par le mal - amènera aux recherches sur l’homéopathie à partir de 1796 avec Samuel Hahnemann, la préfixe « homéo » signifiant justement « semblable ».

Dans l’Antiquité, religion, magie et science sont intimement liées. Dans un monde forcément organisé par les dieux, dans un univers qui est à la fois « tout et un », où tout est relié, que cela soit animal, végétal ou minéral, la forme des créatures vivantes ne peut qu’indiquer leur fonction, au bénéfice de l’homme bien sûr, être central de l’univers. Il y a donc un certain anthropomorphisme dans cette approche (on compare à l’homme, être de référence). Les dieux (puis Dieu à l’époque du monothéisme) aurai(en)t voulu montrer aux hommes à quoi servent les plantes, en particulier pour soigner, en y mettant une « signature » visible, c’est-à-dire leur forme ou l’environnement dans lequel elles poussent. D’où le nom de cette approche : la théorie des signatures.

Par exemple, à l’époque où on se battait encore avec des arcs et des flèches, les praticiens furent frappés par la ressemblance des feuilles de sagittaire (Sagittaria sagittifolia) avec des pointes de flèches (d’où son nom, sagitta signifiant « flèche » en latin et sagittaria « archer »).

Ces feuilles furent donc utilisées pour soigner les plaies, en particulier celles occasionnées par les flèches.

La sagittaire ou Sagittaria sagittifolia, aux feuilles en forme de pointe de flèche (photo Wikimedia Commons Hugo.arg).

 


Il ne faut pas oublier que de l’Antiquité à la Renaissance en passant par le Moyen-Âge (et jusque plus récemment dans nos campagnes, pour ne parler que du monde occidental), nos prédécesseurs ont toujours accordé une importance centrale aux symboles dans la vie de tous les jours : intempéries, guerres, maladies et autres évènements étaient considérés comme des symboles de la volonté de Dieu.

 

Depuis les Grecs anciens

Dioscoride, médecin, pharmacologue et botaniste grec (né entre les années 20 et 40 ap. J.-C. et mort vers 90 ap. J.-C.) ainsi que le célèbre médecin Galien également grec, mais qui exerça aussi à Rome (né en 129 et mort vers 216, il a laissé son nom à la « galénique », qui est l’art de préparer un principe actif pour le rendre administrable à un patient) furent parmi les premiers à réfléchir à la théorie des signatures. Plus tard, le très connu médecin suisse Paracelse (1493-1541, Philippus Theophrastus Aureolus Bombastus von Hohenheim de son vrai nom…) développa le concept, en écrivant que « la nature marque chaque plante ... en fonction de son bénéfice curatif ».

Quelques années plus tard, l’Italien Giambattista della Porta (vers 1535-1615) poussa l’idée à l’extrême, en la baptisant « phytognomonie » (soit « lecture, interprétation des plantes) : en 1588 il publia un important volume illustré, titré Phytognomonica, dans lequel il exposa ses thèses sur un système de relations entre les plantes, les animaux et même les corps célestes.

 

Après, lui c’est le théosophe allemand Jakob Böhme (1575-1624), connu par ailleurs pour être un des inspirateurs directs du végétarisme, qui diffusa la doctrine des signatures, suggérant lui aussi que Dieu a marqué les choses avec un signe, une « signature », publiant de même un ouvrage consacré à cette approche, intitulé The Signature of All Things (La signature de toutes les choses).

Jakob Böhme (1575-1624), un des pères du végétarisme en Occident, fut aussi un grand avocat de la théorie des signatures (image Wikimedia Commons).

 

 

Le botaniste britannique William Coles (1626-1662), supposa de la même façon, peu de temps après, que Dieu a fabriqué des « plantes à l'usage des hommes et leur avait donné des signatures particulières, grâce auxquelles un homme pouvait lire… leur utilisation ». Mais le développement de sciences plus exactes, une approche plus pragmatique, expérimentale et bientôt plus chimique qu’alchimique, freina puis inhiba le développement plus avant de l’importance attachée aux ressemblances via la théorie des signatures.

 

Des résultats étonnants….

La doctrine des signatures repose donc sur l'hypothèse de base selon laquelle toutes les apparences et tous les êtres sont liés les uns aux autres, avec un système de « parentés », indépendant des genres et des espèces. Les « signatures » de ces parentés portent sur un grand nombre de paramètres : odeur, goût, couleur, forme, structure, texture, biotope voire durée de vie. Tous ces paramètres sont affectés à différentes catégories telles que des éléments, des planètes ou des propriétés. Ainsi, une plante au goût amer a un lien avec l'élément du feu, qui est lié au soleil et, entre autres, provoque la transformation et la stimulation des processus métaboliques (qui ont besoin d’énergie).

On l’aura noté, cette approche se retrouve aussi, plus ou moins complètement, dans la médecine chinoise et ayurvédique, médecines holistiques pour lesquelles tout est lié, ainsi que dans d’autres médecines traditionnelles.

Pour nombre de plantes, la théorie des signatures a donné des résultats étonnants, confirmés par la science, notamment par la pharmacologie moderne.

 

 

On pourrait commencer par les noix. Qui, enfant, n’a pas été frappé par la ressemblance entre les cerneaux de noix et un cerveau humain, tel qu’on pouvait le voir illustré dans les livres d’école ? Or, comme on le sait aujourd’hui, les lipides contenus dans la noix (fruit du noyer Juglans regia) sont très riches en acides gras polyinsaturés du type oméga 3 et oméga 6, dont on connaît maintenant l’effet protecteur sur le cerveau. La noix est donc souvent citée comme un exemple parlant de la théorie des signatures. Mais il faut reconnaître que dans l’Antiquité, on la préconisait surtout dans les cas de problème de gorge, pour soigner les problèmes d’estomac et même contre les venins et poisons, même si elle était parfois utilisée aussi contre les maux de tête. En fait, en phytothérapie, ce sont plutôt les feuilles de noyer qui ont été utilisées (pour les problèmes de peau) ou l’écorce de noyer (comme laxatif/dépuratif).

Le cerneau des noix (Juglans regia) ressemble de façon troublante à un cerveau (photo Wikimedia Commons H. Zell).

 

Cas connu et des plus frappant, celui du saule blanc (Salix alba), repéré non pour sa forme mais pour le fait qu’il vivait en zone humide, « les pieds dans l’eau », tout en restant toujours vigoureux, suggérant qu’il pouvait guérir des maladies provoquées par l’humidité, en particulier les « fièvres des marais », autrefois fréquentes. C’est pour cette raison que le célèbre médecin grec Hippocrate (né vers 460 avant J.-C. et mort en 377 av. J.-C.) conseillait d’utiliser son écorce pour lutter contre les douleurs et les fièvres. Le saule blanc fut ainsi longtemps utilisé jusqu’à ce qu’en 1829 un pharmacien français, Pierre Joseph Leroux, arrive à en extraire un principe actif. Plus tard baptisée acide salicylique car provenant de Salix, cette molécule put être synthétisée… L’aspirine était née !

Le saule ou Salix alba « vit les pieds dans l’eau et n’est jamais malade » (photo Pixabay Hans).

 

 

Autre exemple bien connu, l’euphraise de Rostkov (Euphrasia officinalis). Elle fut utilisée, au moins depuis le Moyen-âge, pour ses vertus supposées (puis avérées) en cas de problèmes ophtalmiques (conjonctivite, catarrhe…) car sa fleur rappelle un œil et ses veines. D’où son surnom ancien de « casse-lunettes » et son appellation anglais de eyebright (littéralement « brillance de l’œil ») et allemande de Augentrost (« consolation des yeux » ou « baume pour les yeux »).

L’euphraise ou Euphrasia officinalis (photo Wikimedia Commons Michael H. Lemmer).

 

 

Les fleurs de pimprenelle (Sanguisorba officinalis) sont quant à elle de couleur rouge sang. On les utilisa dès lors pour traiter les hémorragies. Et, de fait, la pimprenelle auraient réellement des propriétés hémostatiques, dues à la présence de tanins en forte concentration dans la racine.

Les fleurs de l’épiaire des bois (Stachys sylvatica) étant elles en forme de casque, on considéra qu’elles pouvaient protéger (comme le fait un casque sur la tête). Dès l’antiquité grecque, elles furent donc appliquées en cataplasme, pour soigner les blessures et arrêter les saignements. Il s’avère que la plante a effectivement des propriétés astringentes et vulnéraires (soin des plaies) mais aussi, entre autres, toniques et antispasmodiques.

Pour l’anémone hépatique (Hepatica nobilis), ce sont ses feuilles rappelant les lobes du foie qui la firent utiliser, ces feuilles ayant effectivement des propriétés diurétiques.

 

Avec la justement nommée pulmonaire (Pulmonaria officinalis), ce sont aussi ses feuilles qui retinrent l’attention, car elles portent des taches éparses rappelant les alvéoles des poumons. Elle fut ainsi utilisée depuis l'Antiquité pour traiter les maladies des voies respiratoires. Aujourd’hui, on sait qu’elle est entre autres riche en mucilages, à l’action adoucissante sur ces voies respiratoires, et qu’elle a des propriétés expectorantes.

Les feuilles de la pulmonaire ou Pulmonaria officinalis présentent des taches ressemblant aux alvéoles d’un poumon (photo Pixabay zimt2003).

 

On pourrait continuer longtemps cette liste, en y ajoutant par exemple la carotte, dont les tranches coupées rappellent un œil, alors qu’elles sont riches en provitamine A, si utile à une bonne vue.

Mais ces « signatures » ne sont pas sans risques. Ainsi avec le colchique d'automne (Colchicum autumnale) : son oignon ressemblant à des orteils atteints par la goutte, il fut utilisé pour lutter contre cette maladie. Un des principes actifs qu’il contient, baptisé logiquement colchicine, est effectivement prescrit pour l'arthrite goutteuse. Mais cette colchicine est également un poison, à partir de doses très faibles, et on a vu très souvent des intoxications violentes, parfois mortelles, par ingestion de graines de colchique.

 

Mais aussi des échecs…

Car la théorie des signatures a également à conduit des erreurs voire à des aberrations ou des échecs flagrants qu’il ne convient pas d’oublier. Par exemple, en 1697, le chimiste apothicaire français Nicolas Lémery préconisait dans sa Pharmacopée universelle d’utiliser le crâne séché et broyé d’une personne morte violemment comme remède en cas de maladie du cerveau !

Pour ne citer qu’un seul autre exemple, outre le colchique susmentionné, l’aristoloche (Aristolochia clematitis) fut autrefois largement utilisée pour faciliter les accouchements (les Anglais l’appellent Birthwort soit « racine de naissance » et son nom français vient des mots grecs aristos et lochein signifiant respectivement « excellent » et « accouchement »). La forme courbée de sa fleur rappelle en effet celle d’un fœtus. Mais elle contient en fait de l’acide aristolochique, une toxine particulièrement dangereuse pour les reins, de plus cancérigène.

La théorie des signatures interpelle, c’est certain, tant d’innombrables cas sont extrêmement troublants. Mais cela ne doit pas faire oublier tous les autres cas où, au mieux, les plantes furent inefficaces malgré leur « signature ». Cela est malheureusement très commun que le partisan ou avocat d’une cause ou d’une théorie mette en avant les critères qui vont dans le sens de qu’il défend mais qu’il oublie fort opportunément celles qui vont dans le sens contraire, nuisant à sa démonstration.

Ce qu’il faut néanmoins retenir de tout cela, c’est que le monde des plantes est vraiment une ressource immense qui n’a sans doute pas fini de nous livrer tous ses secrets et que bien des actifs restent encore à découvrir.

La pimprenelle ou Sanguisorba officinalis aux fleurs à la couleur rouge sang (photo Wikimedia Commons H. Zell).

 

 


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