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A l’automne 2015, une information, véritable bombe, fit le tour de tous les médias : la viande rouge est cancérogène ! « Aussi mauvaise que le tabac », précisaient même certains journalistes ou experts « autoproclamés », toujours nombreux sur le web en pareil cas. Affolement dans les familles et réjouissance chez les adeptes d’une alimentation végétale y voyant un nouvel argument pour leur message. Encore aujourd’hui, cette équation « viande rouge = cancer » est souvent diffusée… Mais est-elle bien juste ?

Une « méta-analyse » sur des milliers de personnes.

Tout était parti d’une étude réalisée par un groupe de travail du Centre international de recherche sur le cancer (CIRC), dépendant de l’Organisation Mondiale de la Santé. Une étude sous forme de méta-analyse, c’est-à-dire la comparaison d’un ensemble d’études de terrain, en l’occurrence 800 études épidémiologiques différentes sur le cancer chez l’homme. Par étude épidémiologique, on entend des observations de la fréquence et de la répartition de certaines maladies, avec recherche de liens éventuels avec certains paramètres liés au mode de vie, alimentation par exemple.

Dans le cas présent, les experts du CIRC s’étaient penchés sur plus de 700 études épidémiologiques concernant la consommation de viande rouge et plus de 400 études épidémiologiques concernant la viande transformée (certaines de ces études pouvant porter sur les deux types de viande en même temps).

Pour le CIRC, « la viande rouge fait référence à tous les types de viande issus des tissus musculaires de mammifères comme le bœuf, le veau, le porc, l’agneau, le mouton, le cheval et la chèvre », la viande transformée (appelée aussi charcuterie pour simplifier) étant de son côté « la viande qui a été transformée par salaison, maturation, fermentation, fumaison ou d'autres processus mis en œuvre pour rehausser sa saveur ou améliorer sa conservation. La plupart des viandes transformées contiennent du porc ou du bœuf, mais elles peuvent également contenir d'autres viandes rouges, de la volaille, des abats ou des sous-produits carnés comme le sang. A titre d’exemples de viandes transformées, on trouvera les hot-dogs (saucisses de Francfort), le jambon, les saucisses, le corned-beef, les lanières de bœuf séché, de même que les viandes en conserve et les préparations et les sauces à base de viande ».

Suite à cette méta-analyse, les experts avaient conclu que chaque portion de 50 g de charcuterie consommée par jour accroît le risque de cancer colorectal de 18 % et que chaque portion de 100 g de viande rouge quotidiennement consommée augmenterait (le conditionnel est ici important) ce même risque de 17 %. Ils ont donc rangé la consommation de viande transformée, selon la classification du CIRC des substances cancérogènes, comme « cancérogène pour l’homme » (Groupe 1) et celle de viande rouge comme « probablement cancérogène pour l’homme » (Groupe 2A).

Pour la plupart des médias, et de leurs lecteurs, l’affaire était donc réglée : le tabac et l'amiante étant aussi classés « cancérogènes pour l’homme » (Groupe 1), consommer de la viande transformée est aussi cancérogène que fumer du tabac ou être exposé à de l'amiante. Premier biais (raccourci erroné) : affirmer « la viande rouge est aussi mauvaise que le tabac » montre qu’on n’a pas lu ce qu’en dit le CIRC, seule la viande transformée étant dans le même groupe que le tabac ou l’amiante.

(Image geralt via Pixabay)

Bien lire l’énoncé de la question !

Tous ceux qui ont usé quelque temps leur fond de culotte sur les bancs de l’école se souviennent de ce que disaient les instituteurs et les professeurs : « Lisez bien l’énoncé de la question avant de répondre »… Ce que la majorité de personnes n’a pas fait avec cette publication du CIRC !

Plus prudent, Le Figaro titrait de son côté « L'excès de viande rouge classé cancérogène », étant néanmoins encore plus juste dans le corps de son article, qui disait que « la consommation excessive de charcuterie et, dans une moindre mesure, celle de viande rouge [sont] épinglées pour leur rôle dans l'apparition du cancer du côlon ». Relisons bien encore une fois : c’est d’abord de la charcuterie (viande transformée) dont il est question.

Le point essentiel, oublié par beaucoup, est la phrase précise : « augmentation du risque », faussement comprise, visiblement, comme « augmentation du nombre de cancers »

Car le CIRC ne dit pas du tout qu’en consommant de la charcuterie ou de la viande rouge on a respectivement 17 % et 18 % de chance d’avoir un cancer colorectal. Sachant que sous nos latitudes le risque qu’a une personne de développer un cancer colorectal pendant sa vie est en moyenne d'environ 5 %, ce que dit le CIRC c’est que c’est ce risque qui augmente de 17 ou 18 %. C’est-à-dire qu’il passe à 5,85 % avec la charcuterie et 5,9 % avec la viande rouge ! Les vraies conclusions du CIRC sont donc moins alarmistes que n’ont voulu le faire croire, ou l’ont (mal) compris, ceux qui se sont enflammés lors de la parution de cette étude.

Le Dr Kurt Straif, qui l’avait dirigée, le précisait bien : « Pour un individu, le risque de développer un cancer colorectal à cause de sa consommation de charcuterie reste faible, mais ce risque grandit avec la quantité de viande consommée ». Quant à la comparaison avec le tabac, de son côté, le Dr Dominique Bessette, responsable du Département Prévention à l'Institut national du cancer français, a souligné : « La charcuterie est classée dans le même groupe que le tabac, mais cela ne signifie pas qu'elle présente le même risque ». En clair, la viande transformée, et encore moins la viande rouge, n’est pas aussi néfaste pour la santé que le tabac : un fumeur a 20 fois plus de risque de développer un cancer du poumon qu’un non-fumeur, alors qu’une personne qui consomme de la charcuterie présente un risque à peine plus élevé de développer un cancer colorectal que quelqu’un qui n’en consomme pas.

On peut aussi traduite les chiffres du CIRC différemment, comme l’ont fait certains médias plus attentifs : sachant que sur une population de 1000 habitants, 7 personnes développent en moyenne un cancer colorectal sur une période de 10 ans, manger 50 g de plus de viande transformée par jour augmente ce risque de cancer d’environ 1,3 cas, soit 8,3 cas de cancers effectifs sur 1000 habitants.

Que dit encore le CIRC ?

La lecture des réponses du CIRC au « FAQ [questions plus fréquemment posées] sur la cancérogénicité de la consommation de viande rouge et de viande transformée » est également très instructive, permettant de relativiser les choses.

D’abord, le fait que la consommation de viande rouge a été classée comme probablement cancérogène pour l’homme (Groupe 2A) signifie que dans ce cas « cette classification se fonde sur des indications limitées [limitées…] provenant d'études épidémiologiques montrant des associations positives entre la consommation de viande rouge et le développement d’un cancer colorectal, indications soutenues par de fortes indications d’ordre mécanistique. Indications limitées signifie qu'une association positive a été observée entre l'exposition à la consommation de viande rouge et le cancer mais que d'autres explications pour ces observations (techniquement désignées par les termes de hasard, de biais ou de facteurs de confusion) ne pouvaient être exclues ».

Concernant la classification de la viande transformée comme cancérogène pour l’homme (Groupe 1), cela signifie qu’on « dispose d’indications suffisantes de cancérogénicité chez l'homme. En d'autres termes, on dispose d’indications convaincantes de ce que l'agent provoque le cancer chez l’homme. Cette évaluation se fonde généralement sur des études épidémiologiques montrant le développement du cancer chez les personnes exposées. Dans le cas de la viande transformée, cette classification se fonde sur des indications suffisantes provenant d'études épidémiologiques de ce que la consommation de viande transformée provoque le cancer colorectal chez l’homme ». Néanmoins, même si le tabac et l’amiante sont classés dans le même Groupe 1, « cela ne signifie pas pour autant qu'ils sont tous aussi dangereux. Les classifications du CIRC décrivent la force des données scientifiques sur un agent comme étant une cause de cancer, mais n'évaluent pas le niveau du risque »

C’est surtout pour la viande transformée que l’on dispose d’indices probants (image bearfotos via Freepik).

Et si « une analyse des données provenant de 10 études a permis de calculer que chaque portion de 50 grammes de viande transformée consommée tous les jours augmente le risque de cancer colorectal de 18 % environ », pour la viande rouge par contre le risque « est plus difficile à estimer parce que les indications montrant que la viande rouge provoque le cancer ne sont pas aussi fortes. Toutefois, si la causalité des associations rapportées entre la consommation de viande rouge et le cancer colorectal était prouvée [était prouvée !], les données des mêmes études laissent penser que le risque de cancer colorectal pourrait augmenter de 17% pour chaque portion de 100 grammes de viande rouge consommée par jour ».

Par ailleurs, concernant le type de cancers liés ou associés à la consommation de viande rouge, « les données les plus solides, quoique demeurant limitées [limitées !], indiquant une association avec la consommation de viande rouge, concernent le cancer colorectal. Il existe également des données indiquant des liens avec le cancer du pancréas et le cancer de la prostate ». Et pour la viande transformée si « le groupe de travail du CIRC a conclu que la consommation de viande transformée provoque le cancer colorectal, une association avec le cancer de l'estomac a également été observée, mais les données ne sont pas concluantes ».

Pourquoi le risque de cancer augmente-t-il ?

A la question de savoir pourquoi la viande rouge et la viande transformée augmentent le risque de cancer, le CIRC répond : « La viande est constituée de multiples composants, tel le fer héminique, par exemple. La viande peut également contenir des composés chimiques qui se forment au cours de la transformation ou de la cuisson de la viande. Par exemple, des composés chimiques cancérogènes comme des composés N-nitrosés et des hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP) se forment pendant la transformation des viandes. La cuisson de la viande rouge ou de la viande transformée produit également des amines aromatiques hétérocycliques ainsi que d'autres composés chimiques, y compris des HAP, que l’on trouve par ailleurs dans d'autres aliments et dans la pollution atmosphérique. Certains de ces produits chimiques sont des cancérogènes avérés ou soupçonnés, mais malgré cela, on ne sait pas encore bien comment la viande rouge et la viande transformée accroissent le risque de cancer. Les méthodes de cuisson à haute température génèrent des composés qui peuvent contribuer au risque cancérogène, mais leur rôle n’est pas encore parfaitement compris »

Et à propos des méthodes les plus sûres pour cuire la viande : « La cuisson à température élevée ou avec la nourriture en contact direct avec une flamme ou une surface chaude, comme dans le barbecue ou la cuisson à la poêle, produit davantage de produits chimiques cancérogènes (comme les hydrocarbures aromatiques polycycliques et les amines aromatiques hétérocycliques). Cependant, le Groupe de travail du CIRC ne disposait pas de suffisamment de données pour conclure si la façon dont la viande est cuite affecte le risque de cancer ».

 

Consommer de la viande rouge dans le cadre d’un régime varié, en particulier lorsqu’elle est cuite doucement, ne présente pas un risque tel qu’il faut arrêter d’en manger (image ilgag via Pixabay).

 

Tout est question de modération

Si, depuis 2015, d’autres études sont venues confirmer celles comparées par le CIRC, à savoir qu’une consommation excessive de viande rouge et surtout de viande transformée augment le risque (le risque…) de cancer d’environ 20 %, toutes ces données ne font cependant que confirmer des éléments qui étaient déjà connus.

Le Dr Christopher Wild, directeur du CIRC, avait ainsi rappelé que les résultats de leur étude « confirment les recommandations de santé publique actuelles appelant à limiter la consommation de viande. Dans le même temps, la viande rouge a une valeur nutritive. Par conséquent, ces résultats sont importants pour permettre aux gouvernements comme aux organismes de réglementation internationaux de mener des évaluations du risque, et de trouver un équilibre entre les risques et les avantages de la consommation de viande rouge et de viande transformée, ainsi que de formuler les meilleures recommandations alimentaires possibles »

De même pour le Dr Dominique Bessette, de l'Institut national du cancer : « En réalité, cela conforte les préconisations nutritionnelles actuelles, qui sont de manger varié et en quantités raisonnables. Les études montrent que le gros mangeur de viande rouge et/ou de charcuterie est aussi quelqu'un qui bouge moins, ingère beaucoup de calories au quotidien mais mange peu de fruits et légumes, et boit davantage d'alcool ». La consommation (excessive) de viande rouge ou transformée n’est donc pas un facteur unique avec une relation directe de cause à effet : corrélation ne signifie pas veut pas dire causalité !

Il s’avère de plus que les facteurs sont sans doute plus complexes qu’on ne l’imagine. En effet, une étude danoise (du Danish Cancer Society Research Center) réalisée en 2013 a montré entre autres que le que le risque de cancer rectal était plus important avec une consommation élevée de porc, que remplacer la viande rouge par de la volaille (viande blanche) ne réduisait pas les risques ni du cancer du colon ni du cancer rectal… et qu’une consommation élevée de bœuf diminuait le risque de cancer rectal. La conclusion des auteurs de cette étude était que le risque de cancer colorectal pourrait varier selon l’espèce animale source de la viande rouge consommée.

En résumé, une fois de plus, tout est une question de modération et d’équilibre. La viande rouge - source de protéines de qualité, de fer, de vitamines B - garde son importance pour avoir une alimentation équilibrée. Une alimentation qui doit être variée (viandes rouge et blanche, poisson, protéines végétales, fruits et légumes, produits laitiers, etc.), sans déséquilibre : récemment, une étude a montré qu’une consommation excessive de soja peut aussi avoir des conséquences négatives, en raison de sa teneur en phytoestrogènes.

Ce qui est certain, c’est qu’il faut éviter de cuire la viande à des températures trop élevées, en n’abusant pas des grillades par exemple. Quant aux produits transformés comme la charcuterie, on sait de toute façon depuis longtemps qu’il ne faut pas en abuser, ne serait-ce que parce que ces produits sont souvent très gras et très salés, sans parler des additifs parfois douteux qu’ils contiennent (sauf en bio, bien sûr).

On peut décider d’arrêter de manger de la viande (rouge ou blanche d’ailleurs) pour d’autres raisons, comme celle de vouloir respecter la vie animale. Mais même s’il est certain que plus on consomme quotidiennement des viandes transformées voire de la viande rouge, plus le risque de cancer augmente, ce risque, encore une fois, n’est en rien comparable à celui lié au tabac ou à l’alcool. Comparer la viande rouge au tabac est totalement abusif.

Non, la viande rouge n’est pas aussi dangereuse que le tabac ou l’alcool ! (image 4924546 via Pixabay).

 


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