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Dans la famille des tendances alimentaires visant à un mode de vie plus sain, la notion « d’alimentation crue » (ou mieux « brute ») a fait son apparition il y a quelques années en France. Mais cela fait bien plus longtemps que nos voisins anglo-saxons (avec le raw food) ou surtout allemands (avec le Rohkost) connaissent ce concept. Que recouvre-t-il et quels sont ses avantages… et ses inconvénients ?

 

Un concept qui a mis un siècle pour se faire connaître en France

Initialement, l’alimentation crue (ou plutôt alimentation brute, l’appellation « crudivorisme » apparaissant en fait inadaptée) est un concept de régime alimentaire dans lequel ne sont consommés que des aliments frais ou bruts, non transformés industriellement, non chauffés au-delà d’environ 45°C (et donc non cuits), qui sont aussi bien d’origine animale que végétale. Pour beaucoup, en France notamment, il désigne cependant une alimentation brute exclusivement d’origine végétale, ce qui n’est pas entièrement exact comme on le verra.

Si en France le raw food a surtout fait parler de lui au courant de la décennie 2010, son histoire remonte cependant à la fin du 19e siècle, étant bien plus ancien que « les années 50 » comme on le lit parfois. Il ne vient pas non plus « directement de Californie » comme on le lit aussi souvent, mais de Suisse. Ses principes sont en effet nés sous la plume du médecin suisse Maximilian Bircher-Benner (1867-1939). Celui-ci vécut les premières années de sa vie professionnelle en plein dans cette époque qui vit en Grande-Bretagne et en Allemagne - deux pays marqués par une forte industrialisation et urbanisation (contrairement à la France, restée longtemps un pays surtout agricole) - la naissance des premiers « magasins diététiques ». Appelés Health food shops chez les Britanniques, ceux-ci furent baptisés rapidement Reformhäuser Outre-Rhin, c’est-à-dire « maisons de (produits de) réforme », car ils s’inscrivaient dans le mouvement Lebensreform (« réforme » ou « amélioration de la vie ») qui prônait déjà un retour à un mode de vie plus sain, ce qui passait entre autres par une meilleure alimentation et le respect de la nature. Notons que c’est entre autres dans ce mouvement Lebensreform que Rudolf Steiner puisa aussi certaines de ses idées, ce qui mena, en matière d’agriculture, à la biodynamie et plus tard à l’agriculture biologique.

Ayant souffert d’une jaunisse à la fin des années 1890, Bircher-Benner apprécia les propriétés revigorantes des fruits et légumes crus, s’inspirant pour cela des bergers et pâtres des montagnes suisses, qui étaient particulièrement en bonne santé et dont l’alimentation était très simple et frugale. Après sa guérison, Bircher-Benner continua à se nourrir essentiellement de fruits, de légumes et de fruits secs, en réduisant au maximum sa consommation de viande et de pain. C’est suite à cela qu’il inventa le muesli, connu d’ailleurs dans les pays germanophones sous le nom de Birchermüsli. En 1897, il ouvrit à Zürich une clinique de remise en forme, baptisée Lebendige Kraft (« Force vivante »), où séjournèrent de nombreuses personnalités. Tous les pensionnaires étaient nourris avec des aliments crus, dont bien sûr du muesli.


Maximilian Bircher-Benner (1867-1939), le père suisse du « raw food »… et du muesli
(Photos Bircher-Benner Archiv, Université de Zürich, Wikimedia Commons et Pixabay Alexas_Fotos).

 

Si en 1904 paraissait déjà à New-York un livre intitulé « Uncooked Foods and How to Use Them » (« Les aliments non cuits et comment les utiliser »), écrit par les époux Mollie et Eugene Christian, le pionnier du raw food aux USA fut le dentiste Weston Price (1870-1948) qui, constatant l’augmentation alarmante des caries dentaires chez les enfants, fit un rapprochement avec l’alimentation moderne du début du 20e siècle et préconisa un retour à une alimentation brute non transformée, non seulement pour résoudre ce problème précis, mais aussi pour une meilleure santé en général. Ses idées furent appuyées par les études menées par un de ses compatriotes, Francis M. Pottenger Jr. (1901–1967). Entre 1932 et 1942, ce médecin compara deux groupes de chats, sur plusieurs générations, l’un dont la viande l’alimentation était crue, et l’autre pour lequel la viande était cuite, constatant que les troubles de croissance et problèmes de santé du second groupe n’existaient pas dans le premier.

 

De nombreuses variantes du « rawfoodisme »

Dans les années 1960-1970, dans les pays anglo-saxons et germaniques, alors que dans les pays occidentaux l’agriculture bio connaissait ses premiers frémissements, le mouvement « New Age » (qui visait à améliorer l’humanité par l’élévation spirituelle et un mode de vie plus en harmonie avec la nature) aida à la diffusion de nouvelles approches alimentaires, comme le végétarisme mais aussi le « rawfoodisme ». De nombreuses études furent faites dans ces pays, et d’innombrables livres de recettes parurent. Puis l’apparition d’Internet, dans les années 1990-2000, donna une nouvelle impulsion au concept, aidant à le faire connaître dans encore plus de pays.

L’Allemagne connut assez tôt plusieurs variantes de la méthode, comme celle de Franz Konz (1926 - 2013) qui, s’inspirant de l’alimentation des singes, préconisa « l’alimentation originelle » (Urkost), c’est-à-dire un « régime paléo » avant l’heure, mais cru (seuls peuvent être consommés les aliments fournis trouvés dans la nature et non cultivés : plantes et herbes sauvages, graines, fruits secs et fruits, à l’exclusion donc des céréales, des pommes de terre, etc.). Ou, mais ce n’est pas la seule, celle d’Helmut Wandmaker (1916-2007), apôtre de son côté de « l’alimentation solaire » (Sonnenkost), une forme de végétarisme importée des USA (Fit for life), basée sur la consommation de 75 % de fruits, 20 % de légumes et 5 % de fruits secs, le tout cru bien sûr. Konz et Wandmaker reconnaissaient cependant eux-mêmes que leurs régimes ne peuvent être pratiqués sur le long terme, car conduisant à des carences.

De même que le raw food n’est pas à confondre avec le végétarisme, végétalisme voire véganisme (qui n’interdisent pas la cuisson), il n’est cependant pas non plus, au vu des derniers exemples, à confondre avec le fruitarisme. Le fruitarisme est une forme de végétalisme fondé sur la consommation exclusive de fruits (fruits à pulpe, fruits secs et donc noix et graines), mais interdisant les « plantes mères » porteuses des fruits (ou des graines), comme les salades ou les carottes. Mais là aussi, différentes « écoles » existent, certains fruitariens n’interdisant pas la cuisson, d’autres ne consommant que ce qui est tombé naturellement de la plante, d’autres délaissant les céréales, d’autres encore mangeant certains légumes secs car ce sont botaniquement des fruits (haricots, pois…), et d’autres s’autorisant le miel ou l’huile d’olive. Bref, il n’est pas toujours facile de s’y retrouver dans toutes ces écoles, pour ne pas dire « chapelles ». De façon générale, le fruitarisme ne peut pas être considéré non plus comme un régime praticable à long terme, et il est surtout déconseillé aux enfants, car il peut provoquer des retards de croissance.


Barre de céréales raw food (Photo Wikimedia Commons Cucchiaio pieno).
  Outre ces régimes parfois assez extrêmes, ce qui dessert en un sens le raw food, c’est que lorsqu’il a fait parler de lui sur le web français, c’était avant tout comme nouveau… « régime minceur », à l’instar de ce qui s’était dit rapidement aussi sur le régime sans gluten. Un « raccourci » qui, évidemmen, ne reflète pas ce qu’il est intrinsèquement. Et bien sûr, on s’est empressé de lister les stars et autres VIP qui ne juraient plus que par le raw food, ce qui n’est peut-être pas la meilleure façon de la valoriser.

 

40-49°C, pas plus !

Comme dit plus haut, le principe de base du raw food est que les aliments ne doivent pas être soumis à une température supérieure à 40°C, certaines personnes prenant comme valeur limite 42° ou 47,8° (précisément) ou même 49°C. Les aliments ne doivent donc pas non plus être raffinés ou trop transformés industriellement (ils doivent être sans additifs chimiques notamment). La cuisson douce et contrôlée (exemple à la vapeur avec un thermostat) n’est pas interdite, tant que la température fatidique n’est pas atteinte.

Ses partisans, comme beaucoup d’autres consommateurs, recherchent d’autres formes d’alimentation espérées plus saines, en réaction à une alimentation industrielle que l’on sait trop transformée, moins riche en nutriments essentiels, enrichie à l’inverse en additifs plus ou moins utiles (certains étant même préjudiciables pour la santé). Avec le raw food, le point central n’est pas par exemple le bien-être animal, comme avec les végétariens ou végans : c’est la question de la santé humaine qui est primordiale.

L’idée de base est que le chauffage des aliments entraîne la destruction de nutriments importants, vitamines en premier lieu, mais aussi acides gras insaturés, substances végétales secondaires du type anti-oxydants, ainsi que d’autres auxquels on ne pense pas forcément, mais qui seraient tout aussi utiles, comme les enzymes naturelles (dont le rôle réel est contesté par beaucoup de nutritionnistes, car elles seraient détruites lors de la digestion). Les aliments crus seraient de toute façon plus riches en substances bénéfiques pour notre santé, entre autres toutes celles capables de combattre les radicaux libres et donc les cancers.

A l’inverse, le chauffage peut provoquer l’apparition de certaines substances nuisibles, comme l’acrylamide, molécule classée CMR (cancérogène, mutagène et reprotoxique) qui se forme lors de la cuisson (friture, rôtissage, etc.) à haute température d'aliments riches en glucides (amidon, sucres) et en protéines. Le chauffage des graisses fait également apparaître de nombreux produits de décomposition comme des acides gras conjugués, des triglycérides polymérisés et leurs produits de dégradation (acides gras libres à chaîne courte, mono- et diglycérides, aldéhydes, cétones, polymères, composés aromatiques polycycliques), qui tous peuvent poser à terme des risques pour la santé (risque CMR).

Certains partisans du raw food avancent comme autre argument que la cuisson des aliments nécessite de l'énergie et peut ainsi libérer des gaz associés au réchauffement climatique. Mais il semble difficile de le démontrer réellement et ce n’est sans doute pas, de loin, la première cause du réchauffement climatique.

 

Manger cru n’est pas exceptionnel : nous le faisons déjà avec les légumes mangés frais et/ou en salade, avec des viandes comme les steaks tartares, les carpaccios, certaines viandes et charcuteries séchées ou fumées, les poissons également séchés ou fumés, mais aussi crus (sashimis). En raw food, outre les aliments cités à l’instant, la palette des aliments est de fait très vaste : aliments fermentés (choucroute, navets, betteraves rouges…), huiles végétales pressées à froid, vinaigre, miel, produits laitiers non cuits et surtout non pasteurisés, champignons et graines, œuf cru, graines germées, etc. Même des aliments qui sont habituellement cuits peuvent être consommés crus, comme le riz si on le laisse gonfler plusieurs heures dans l’eau.  
Plat de spaghettis de légumes raw et vegan avec de la saucisse végétale (Photo Wikimedia Commons Lablascovegmenu).

 

Attention à l’excès

Entre 1996 et 1998, la réputée université de Gießen en Allemagne, a réalisé une étude (baptisée Gießener Rohkoststudie) sur le statut sanitaire de 700 consommateurs qui se nourrissaient avec un minimum de 70 % raw food depuis au moins 14 mois au début de l’étude. A la fin de celle-ci, il fut constaté que 57 % de ces personnes présentaient un poids corporel inférieur à la normale. En moyenne, les hommes avaient perdu 10 kg et un tiers des femmes de moins de 45 ans n’avaient plus de règles (aménorrhée). Sur le plan des nutriments, les niveaux sanguins était très bons pour les vitamines A, C, E, B1, B6, B9, le ß-carotène, le sélénium et d’autres anti-oxydants. Le niveau de magnésium était suffisant, mais des carences franches en calcium, zinc, iode, vitamines D et B12 étaient apparues. L’apport en fer était également insuffisant : 43 % des hommes et 15 % des femmes souffraient d’anémie, d’autant plus importante que le rawfoodisme était ancien.

La conclusion de l’étude fut qu’une alimentation crue (brute) quasi-exclusive n’est pas recommandée, pour des raisons de santé.

Un autre problème souligné par les scientifiques est qu’en comparaison des aliments cuits, le raw food peut amener à une absorption incomplète de certains nutriments (vitamines et oligo-éléments), l’absence de chauffage ne permettant pas aux cellules de certains aliments de libérer correctement ces nutriments (réduction de la biodisponibilité). En outre, dans certains cas (légumineuses par exemple), le chauffage permet de détruire des composants naturels potentiellement nocifs (toxines végétales du type phasine ou glycoside cyanogène). Autre conséquence gênante du rawfoodisme, une consommation importante de fruits de mer crus et de poissons d’eau douce crus apporte une dose élevée d’une enzyme, la thiaminase, qui peut provoquer des carences en vitamine B1 (thiamine). Globalement, en comparaison d’une alimentation conventionnelle, un régime « raw » exclusif et prolongé mène en général à une perte de poids corporel, à une faible masse osseuse ainsi qu’à un risque accru d'érosion dentaire.

Par ailleurs, sur le plan sanitaire, des aliments non cuits, non désinfectés par la chaleur (absence de pasteurisation par exemple) ou la cuisson à haute température peuvent présenter un risque bactériologique ou parasitaire non négligeable (contamination par des bactéries E. Coli, des salmonelles, des Listeria, etc.) qu’un simple lavage intensif à l’eau courante, comme cela est préconisé en raw food, ne suffit pas à éliminer. Les possibilités d’intoxication alimentaire sont donc réelles et nécessitent de nombreuses précautions.

Néanmoins, de très nombreux nutritionnistes s’accordent pour recommander la consommation d’une forte proportion d’aliments crus, bruts et naturels dans notre diète, car ils peuvent protéger contre de nombreuses « maladies actuelles de civilisation », comme les cancers ou plus prosaïquement le surpoids. Il faut néanmoins être très prudents quand on est une femme enceinte ou une personne âgée, de même qu’avec les enfants en croissance, ainsi qu’avec les personnes immunodéficientes ou anémiées.


Sucreries raw et vegan faites maison (Photo Wikimedia Commons Vassia Atanassova – Spiritia).
  Si le raw food présente donc des aspects intéressants, comme dit le proverbe : « Où commence l'excès, là finit la vertu ». Il ne faut donc pas s’adonner de façon exclusive au raw food sur le long terme si on veut profiter de ses réels bénéfices.

 


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