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L’Homme utilise des édulcorants depuis la nuit des temps : une peinture rupestre vieille d’environ 14 000 ans, découverte en Espagne dans les cuevas de la Araña (grottes de l'Araignée, dans la province de Valence) montre un personnage récoltant du miel, entouré d’abeilles. Sous nos latitudes, le sucre blanc raffiné est devenu majoritaire depuis des générations. Mais bien des alternatives existent aujourd’hui. Petit catalogue rapide et explication.

Une grande famille

Le sucre est le nom générique utilisé pour tous les glucides solubles au goût sucré, dont beaucoup sont utilisés dans les aliments. On distingue d’une part les sucres simples (ou monosaccharides car constitués d’une seule molécule courte, appelée ose) à savoir glucose, fructose et galactose, et d’autre part les sucres doubles (disaccharides) formés par la liaison de deux monosaccharides : saccharose (glucose + fructose), lactose (glucose + galactose), maltose (deux molécules de glucose). Dans notre corps, ces sucres composés sont hydrolysés en sucres simples. Le sucre blanc de table (en morceau ou en poudre) est du saccharose.

Les oses peuvent aussi former des chaînes bien plus longues, mais celles-ci, appelées oligosaccharides ou polysaccharides, ne sont pas considérées comme des sucres.

Les sucres se trouvent naturellement dans les tissus de la plupart des végétaux et leurs dérivés : le miel et les fruits sont des sources abondantes de sucres simples, alors que la canne à sucre ou la betterave sucrière sont elles riches en saccharose, d’où leur utilisation industrielle et commerciale pour produire le sucre de table.

Pourquoi du sucre raffiné ?

Sur le marché, on trouve deux types de sucres : le raffiné et le non-raffiné. On sait qu’il est préférable de consommer du sucre non raffiné, mais pourquoi ?

Tout d’abord, il faut noter que la coloration d’un sucre - blanc, blond, roux, brun… - n’indique pas forcément que le sucre a été raffiné ou non. Le sucre de betterave peut ainsi être coloré pour obtenir du sucre roux, et le sucre de betterave est blanc sans recourir au raffinage, comme nous le verrons plus loin.

Pourquoi raffine-t-on le sucre ? Pendant longtemps, le principal sucre utilisé fut du sucre de canne, naturellement coloré et parfaitement consommable tel quel, sous forme de sirop ou, après séchage, de cristaux (poudre). Puis vinrent les guerres napoléoniennes, avec, parmi d’innombrables conséquences, le blocus maritime imposé par la France à l’ennemi britannique à partir de 1807 afin d’asphyxier son économie : plus aucun bateau du Royaume-Uni ou y ayant fait escale n’eut le droit d’entrer dans un port de France ou d’un pays allié. Mais ce blocus eut aussi des effets pervers sur l’économie française, avec notamment la chute des importations de canne à sucre venant d’Outremer : 2 000 tonnes seulement en 1808, contre 25 000 en 1807.

 

Pour pallier ce manque de matière première sucrière, on essaya tout d’abord de cultiver la canne à sucre dans les régions les plus méridionales de l’Empire. Mais bien que la canne s’y plaisait, sa teneur en sucre était très faible. On chercha alors à extraire le sucre de nombreux autres végétaux : dans les tiges de maïs, la sève d’érable, les châtaignes, les pommes, les poires, les mûres blanches, les cerises, les prunes, les coings, les figues, le raisin… et bien sûr le miel. Le raisin sembla donner satisfaction, 20 000 tonnes de sirop de raisin étant produits et consommés en 1811, les utilisateurs l’appréciant cependant assez peu malgré tout. C’est finalement le sucre de betterave - connu depuis 1747 grâce aux travaux d’extraction du chimiste allemand Andreas Sigismund Marggraf – qui put être produit industriellement et de façon suffisamment rentable, grâce au procédé mis au point fin 1811 dans la manufacture sucrière de Benjamin Delessert installée à Passy (commune intégrée aujourd’hui dans le 16e arrondissement de Paris).

Or il se trouve que le sucre de betterave est naturellement blanc, contrairement au sucre de canne, dont la teinte va du blond au brun, en raison de diverses substances naturellement présentes dans la canne. À l’instar du pain blanc qui a fini par supplanter le pain plus ou moins complet et donc coloré, la couleur blanche du sucre de betterave a fini par… « déteindre » (façon de parler) sur le sucre de canne, les consommateurs appréciant l’aspect « pureté » de cette couleur blanche.

Le sucre de betterave, du saccharose quasiment pur, est naturellement blanc et donc non raffiné (image Lauri Andler via Wikimedia Commons).

La fabrication du sucre de canne et de betterave

Pour obtenir le sucre de canne, la première étape consiste à passer les cannes entre des rouleaux pour en extraire le jus. Concernant les betteraves, celles-ci sont découpées en petites lamelles (les cossettes) dans un coupe-racines, cossettes qui seront ensuite chauffées et mises dans de l’eau à 75°C pour extraire le sucre par diffusion naturelle (comme lors de l’infusion d’une tisane), opération qui donnera aussi un jus sucré.

Ce jus ou liqueur, qui contient en moyenne 12 à 15 % de sucre, est ensuite nettoyé par chaulage ou carbonatation. Il s’agit de l’addition de gaz carbonique (CO2) et de lait de chaux, c’est-à-dire d’hydroxyde de calcium, produit qui connaît par ailleurs de nombreux usages alimentaires, comme régulateur de pH et affermissant/stabilisant, additif (E526) et est jugé sans risque par les autorités sanitaires, d’où l’absence de dose journalière admissible (DJA) maximale. Cette addition provoque la formation de carbonate de calcium (… de la craie) qui fixe les « impuretés » (composés organiques mais aussi sels minéraux). Une autre technique, moins employée, utilise des phosphates plutôt que des carbonates, par ajout d’acide phosphorique à la liqueur : le même acide phosphorique qui est utilisé comme antioxydant ou comme régulateur de pH (E338) dans les boissons non alcoolisées, principalement dans les sodas du type colas, mais non autorisé en bio.

Après ce chaulage, le jus filtré et donc nettoyé est ensuite épaissi en sirop par ébullition, jusqu’à une teneur d’environ 65 à 80 % de sucre. L’ébullition est poursuivie jusqu’à la formation des premiers cristaux de sucre, qui seront ensuite séparés du jus par centrifugation (action purement mécanique donc). Les cristaux sont ensuite séchés à l’air chaud pour obtenir le sucre fini. Le jus peut être porté à ébullition jusqu’à trois fois pour obtenir le sucre. Mais le jus résiduel contient malgré tout une certaine quantité de sucre. C’est ce jus résiduel qu’on appelle la mélasse, traditionnellement utilisée pour l’alimentation animale, et pour fabriquer du rhum par distillation.

A l’issue de ces opérations, on obtient donc avec les betteraves un sucre naturellement blanc, sauf le sucre de troisième cuisson, qui est donc roux, que l’on peut éventuellement raffiner. Par contre le sucre obtenu à partir de la canne est comme dit plus haut coloré en raison des pigments présents dans la plante : il faut donc le raffiner.

Coupons court, pour commencer, aux rumeurs diffusées sur Internet, comme cela est classique, par des « experts autoproclamés » : non le sucre n’est pas raffiné avec des « produits chimiques toxiques » et n’est pas (ou plutôt plus, et ce depuis très longtemps !) filtré sur du « charbon de poudre d’os d’animaux calcinée » !

Pour obtenir du sucre blanc dans le cas de la canne, le sucre roux brut est refondu pour donner un jus qui va être décoloré soit par passage sur une résine échangeuse d’ions (qui enlève quasiment tous les minéraux), soit par filtration sur du charbon actif végétal (et non de la poudre d’os carbonisée comme le veut donc la rumeur !). Ce jus décoloré sera ensuite une nouvelle fois cristallisé par évaporation et centrifugation pour donner du sucre blanc.

En France, le sucre blanc que nous consommons est majoritairement (90 % environ) du sucre de betterave, qui n’est donc pas raffiné. Le sucre de canne est beaucoup moins utilisé, qu’il soit raffiné (environ 4 % du sucre consommé en France) ou roux (brut).

De haut en bas et de gauche à droite : sucre blanc (saccharose), cassonade, sucre complet, rapadura (image Romain Behar via Wikimedia Commons).

Complet, brut, roux, vergeoise, cassonade… quid ?

Quels types de sucres trouve-t-on sur le marché ? Il y a donc d’abord le sucre blanc (sous forme « cristal » ou « cristallisé », semoule ou glace selon la finesse de son broyage), soit issu de la betterave, soit issu de la canne après raffinage, qui doit contenir plus de 99,8 % de saccharose cristallisé. Il y a aussi le sucre complet ou « sucre brut » comme l’appelle la législation européenne. Ce sucre brut contient encore sa mélasse et les seules étapes qu’il a subies sont la cristallisation puis la déshydratation.

Mais on trouve également des sucres colorés dont le mode d’obtention est différent. C’est en particulier le cas de la vergeoise, appelée cassonade en Belgique, en Suisse, au Québec mais aussi dans le nord de la France. Il est obtenu en cuisant voire recuisant le sirop résiduel issu de l’essorage du sucre de betterave ou de canne. Plus on le cuit, plus la teinte devient foncée et l’arôme prononcé (il s’agit d’une caramélisation) : cuit une fois, le sirop donne de la vergeoise blonde, deux fois de la vergeoise brune.

Attention cependant, il existe aussi des vergeoises qui ne suivent pas ce procédé traditionnel mais qui sont issues d’une mélange de sucre et de sucre inverti (saccharose hydrolysé) pour donner le même moelleux que la vergeoise naturelle, coloré ensuite au caramel ou à la mélasse pour obtenir un aspect de vergeoise blonde ou brune En France, ces produits sont identifiés clairement comme étant « saveur vergeoise », mais cela n’est pas le cas dans tous les pays

Là où cela se complique, c’est qu’en dehors des régions mentionnées plus haut, le terme « cassonade » s’applique au sucre roux (brut) de canne, à la saveur particulière, obtenu par simple cristallisation du sirop obtenu par l’évaporation du jus de la canne.

Le sucre, c’est du sucre !

Revenons au raffinage du sucre de canne. Celui-ci lui enlève toutes ses substances colorantes, mais aussi ses arômes marqués et surtout ses nutriments. Le sucre raffiné « ce sont des calories vides » ou « c’est 100 % des calories », clament ses détracteurs, qui soulignent ainsi l’absence de nutriments dans le sucre raffiné. Certes, il est vrai que le sucre raffiné ne contient plus de nutriments, mais il est quand même bon de regarder les chiffres avant de s’emballer : car si un sucre de canne non raffiné ou un sucre roux de betterave (type vergeoise) peuvent contenir plusieurs centaines de mg de sels minéraux pour 100 g de sucre (leur teneur en vitamines est souvent louée, mais la cuisson du jus les détruit en fait largement !), cela ne représente quand même au mieux que 1 % de la composition (1000 mg = 1 g = 1 % de 100 g !).

Donc certes le sucre non raffiné ce n’est peut-être pas seulement « à 100 % des calories » comme le sucre raffiné, mais c’est quand même, au mieux, « 99 % des calories » ! Encore une fois, le sucre, même non raffiné, contient au maximum 1 % de nutriments… Et vu les quantités de sucre que nous consommons (dans une diète normale et raisonnable), ce n’est pas le sucre non raffiné qui va nous permettre d’atteindre nos apports journaliers conseillés pour les minéraux et autres nutriments qu’il contient.

Raffinés ou non, tous les sucres ont exactement les mêmes effets dans notre métabolisme : le sucre c’est du sucre ! Et, non, le sucre raffiné ne « nourrit pas les cellules cancéreuses » et ne favorise pas la maladie d’Alzheimer, comme nous avons pu le lire dans certains articles (… sur Internet, pas dans une revue scientifique). D’ailleurs, systématiquement, lorsqu’un produit est attaqué, ce sont les spectres du cancer et de la maladie d’Alzheimer qui sont brandis : les deux maladies qui nous font sans doute le plus peur.

Globalement, il est néanmoins bon de privilégier le sucre non raffiné, car celui-ci conserve les quelques nutriments naturels de la canne à sucre ou de la betterave, participant ainsi – mais donc de façon minime - à l’apport de nombreux nutriments, minéraux notamment, dont nous avons besoin chaque jour. De plus, même si les auxiliaires de production (pour la carbonatation, la phosphatation ou le raffinage dans le cas de la canne) ne sont absolument pas, aux doses présentes, nocives pour la santé, autant éviter de les voir s’ajouter à tous les autres additifs qui envahissent notre alimentation.

L’autre intérêt des nombreux sucres complets que l’on trouve sur le marché, c’est qu’ils ont des goûts variés, ce qui les rend très adaptés à des produits et à des recettes différentes. Et surtout ils présentent parfois des indices glycémiques (c’est-à-dire une capacité à augmenter la teneur en sucre dans le sang) plus faibles que le saccharose du sucre blanc traditionnel.

Sirop d’agave mexicain (image Niclas113 via Wikimedia Commons).

Quels sucres « naturels » trouve-t-on ?

De nombreuses alternatives existent si on veut ainsi éviter le sucre blanc qui est quasiment du saccharose pur.

Tout d’abord, il y a des produits naturellement liquides, comme le miel bien sûr (avec toutes les palettes de saveurs possibles qu’on lui connaît), mais aussi la mélasse et les sirops d’érable et d’agave, obtenus par évaporation / cuisson naturelle des jus ou des sèves

La mélasse possède un indice glycémique équivalent à celui du saccharose, ainsi que le même apport calorique. Le sirop d’érable est quant à lui 30 % moins calorique que le saccharose et apporte sa saveur typique. Celui d’agave, au goût légèrement fruité, est également moins calorique, d’environ 25 %. Comme il contient essentiellement du fructose, son indice glycémique est assez faible, avec à l’inverse un fort pouvoir sucrant. Mais la surconsommation de fructose est déconseillée, en raison d’une incidence possible sur certains métabolismes hépatiques. Les quantités consommées raisonnablement ne présentent cependant pas de risque particulier.

Il existe aussi du sirop de riz et du sirop d’orge malté, obtenus à partir de la fermentation du riz et de l’orge. Le sirop de riz, au pouvoir sucrant assez fort (il contient surtout du glucose) et au goût rappelant le caramel, possède cependant un indice glycémique élevé, supérieur à celui du saccharose. Contenant environ 65 % de maltose, le sirop d’orge malté présente de son côté un pouvoir sucrant moitié moindre que le sucre blanc de table.

Attention, concernant ces sirops sucrants, le sirop de maïs est quant à lui en général obtenu par conversion du maïs en sucres (maltose et glucose, voire fructose avec une transformation supplémentaire) et le sirop de sucre inverti est obtenu en mélangeant par chauffage du glucose et fructose dans de l’eau

En poudre, il y a en premier lieu le sucre complet de canne, appelé entre autres muscovado, rapadura, jaggery, gur, panela, uluru et autres selon l’origine géographique. Plus il contient encore de mélasse, plus il est foncé. Il a un goût de caramel, de réglisse et/ou de miel plus ou moins prononcé. Mais on trouve aussi du jaggery et du gur obtenu à partir de jus de palme ou de dattes.

On trouve aussi du sucre de coco, élaboré à partir de la sève des fleurs de cocotiers. Il a en général une saveur de caramel et présente l’avantage d’avoir un indice glycémique faible. Il est parfois présenté sous forme de pâte, à la texture très crémeuse.

Il existe également du sucre de bouleau, qui est en fait du xylitol (un polyol), dont la particularité est de laisser une sensation de fraîcheur dans la bouche. Son pouvoir sucrant est le même que le saccharose, mais il est environ deux fois moins calorique que lui. Son indice glycémique est extrêmement faible, mais comme tous les polyols, il peut provoquer des désagréments intestinaux chez certaines personnes (diarrhées).

Et pour terminer la présentation de ces quelques sucres solides alternatifs, mentionnons aussi les flocons de sirop d’érable et le sucre de dattes, obtenu par mouture fin de datte séchées, avec des arômes tout à fait originaux.

 


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