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Jusqu’à l’été 2017, cet article ce serait intitulé « Les laits végétaux », mais cette appellation est définitivement interdite depuis cette date, suite à une décision de la Cour de Justice européenne. Cela n’empêche heureusement pas ces produits d’être vendus, avec un grand nombre de références sur le marché, aptes à séduire une clientèle à la recherche d’une alternative au « vrai » lait de vache, de brebis ou de chèvre.

 

Une consommation très ancienne

L’être humain est un mammifère et, pour ne parler que de l’espèce Homo Sapiens, celle de l’homme moderne à laquelle nous appartenons, nos nouveau-nés ont été nourris exclusivement au lait maternel depuis la nuit des temps. Selon toute vraisemblance, nous buvons du lait d’animaux depuis l’époque de leur domestication originelle, à savoir il y a environ 11 000 ans pour le mouton, 10 500 ans pour la chèvre et 10 000 ans pour les bovins. Dès le début sans doute, on fabriqua également du fromage avec ce lait, comme l’ont prouvé des analyses faites sur des poteries découvertes par les archéologues. Mais des études génétiques montrent une « régionalisation » de la consommation des produits laitiers dès la naissance de l’agriculture, le lait liquide étant plutôt consommé dans le nord de l’Europe, et les yaourts et le fromage dans les pays méditerranéens.

Concernant l’utilisation des laits végétaux, elle semble ancienne sur tous les continents, de l’Asie (lait de soja notamment) à l’Amérique du Sud en passant par les pays arabes, où ils sont mentionnés dans des livres de recettes à partir du 10e siècle. En Europe occidentale, ils sont cités aussi (lait d’amande en particulier) dans des livres de recettes dès les 13e et 14e siècles, mais étaient sans doute connus plus tôt (voir encadré à la fin de cet article). Dans le nord de l’Europe, on utilisait par exemple des noix ou des châtaignes, et dans le sud des amandes, de l’arachide, du souchet, etc.

A l’époque moderne, un des premiers laits végétaux à connaître un réel succès commercial fut le « Vegetabile Milch » inventé dans les années 1880 en Allemagne par le Dr Heinrich Lahmann (1860-1905), qui utilisait des amandes et des noix, et vendu comme lait infantile en substitut du lait de vache.


Publicités d’époque pour le lait végétal du Dr Lahmann datant de 1900 (à g.) et 1902 (à dr.).

 

Des « laits végétaux » très variés

La fabrication des laits végétaux suit plus ou moins toujours le même principe, qui est de mettre en émulsion dans de l’eau (avant d’y ajouter différents autres nutriments et composants), certains végétaux sous forme de farine ou de broyat. Dans ce dernier cas, si nécessaire, ces végétaux, graines ou autres, sont préalablement décortiqués et/ou dépelliculés, éventuellement cuits/bouillis, et le mélange avec l’eau est en général filtré.

Point important, il n’y a pas un lait végétal qui aurait des caractéristiques données. Ces laits végétaux ont autant de caractéristiques (et d’intérêts) qu’il y a d’origines variées. C’est comme si on considérait tous les jus de fruits comme étant comparables, ce qui n’est bien entendu pas du tout le cas.

Si les laits végétaux les plus répandus sont aujourd’hui les laits d'amande, de coco, de soja, et de riz, on trouve aussi des laits de chanvre, de céréales (avoine, épeautre, millet, orge), de légumineuses (lupin, pois), de noix et fruits oléagineux (cacahuète, noisette, noix, noix de cajou, pistache) ou d’autres graines diverses (chia, citrouille, lin, quinoa, sésame, tournesol…).

Il est difficile de parler de la composition des laits végétaux et de la comparer avec le lait de vache, car d’une part toutes les marques ne fabriquent pas de la même façon leurs laits végétaux et d’autre part ils les enrichissent également de façon différente, en calcium, en vitamines (vitamine D notamment), en sucres, en acides gras essentiels, etc. D’origine, leur teneur en protéines varie beaucoup, ils sont normalement peu riches en lipides (mais ceux-ci sont de bonne qualité, puisque ce ne sont pas en général acides gras saturés et qu’il n’y a pas de cholestérol) et surtout en calcium (même le lait l’amande). Ils sont la plupart du temps également moins caloriques que le lait de vache, surtout le lait de soja (mais à l’inverse le lait de coco est très calorique et contient surtout des lipides saturés). Mais ils ne contiennent pas, toujours d’origine, ni vitamine D ni vitamine B12, contrairement aux laits animaux.

Il convient donc, lorsqu’on choisit un lait végétal, de bien étudier la composition indiquée par le fabriquant et de la comparer avec le lait de vache ou de chèvre. L’apport en calcium étant cependant souvent insuffisant, il faut compléter l’alimentation avec d’autres produits en contenant (légumes, fruits, fruits secs, tofu…).

 

Pourquoi consommer des laits végétaux ?

Choisir de consommer des laits végétaux peut avoir plusieurs raisons. En premier lieu, il y a bien entendu le fait d’être végétarien voire végétalien ou vegan : bien-être animal et refus de l’exploitation des animaux sont au cœur de ce choix. La seconde raison peut être physiologique : soit une allergie aux protéines de lait soit une intolérance au lactose (le sucre du lait), deux phénomènes souvent confondus. L’allergie aux protéines de lait, qui peut avoir des conséquences très graves, concerne surtout les enfants en bas âge (2,5 % d’entre eux)

et guérit dans 90 % des cas avant l’âge de 5-6 ans. L’intolérance au lactose, qui ne provoque que des désagréments digestifs, touche surtout les adultes, avec une fréquence très différente selon les pays, 20 % des Français environ étant concernés.


Le « lait d’amande » est un des « laits végétaux » les plus consommés (Photo Pixabay Couleur).
  De toute façon, même si on ne souffre pas d’allergie ou d’intolérance, les laits végétaux sont en général plus digestes, car moins gras et sans caséine. Enfin, on peut simplement consommer les laits végétaux par plaisir, car ce sont effectivement des produits très agréables, entre leurs saveurs naturelles très différentes et les parfums élaborés par les fabricants. Chacun trouvera sans souci son bonheur, et rien que pour cela les laits végétaux méritent qu’on s’y intéresse de près, ce qui permettra de varier son alimentation, avec la garantie de nutriments d’excellente qualité. Sans oublier que ces « laits » sont également utilisés pour de nombreuses préparations alimentaires, comme les crèmes glacées ou les fromages (surnommés « faux-mages »). Le web regorge de recettes savoureuses pour en tirer la quintessence, et de nombreux livres ont été écrits sur le sujet, sans oublier qu’on peut les faire soi-même.

 

Boissons végétales et enfants en bas âge

Le point essentiel est que les laits végétaux standards ne sont pas adaptés aux bébés, car globalement ils n’offrent pas un apport suffisant en énergie, en protéines, en acides aminés, lipides, minéraux, vitamines et oligo-éléments. Le Règlement délégué (UE) 2016/127 de la Commission européenne du 25 septembre 2015 précisait d’ailleurs que « aucun produit autre que les préparations pour nourrissons ne peut être commercialisé, ou autrement présenté, comme étant de nature à répondre à lui seul aux besoins nutritionnels des nourrissons normaux en bonne santé pendant les premiers mois de leur vie, jusqu'à l'introduction d'une alimentation complémentaire appropriée ». Pour pouvoir être conformes à la (très !) stricte réglementation touchant leur composition, ces préparations pour nourrissons (laits infantiles) étaient initialement uniquement confectionnées à partir de lait de vache, mais il existe aussi sur le marché français, depuis 2015, des laits infantiles à base de lait de chèvre, certains en bio. De même qu’il existe, depuis la même époque environ, des laits infantiles 100 % végétaux, certains bio, en général formulés à partir de protéines de riz hydrolysées. Mais ces préparations végétales conformes à la réglementation sur les préparations pour nourrissons ne doivent pas être confondues avec les laits végétaux courants.

Il existe aussi sur le marché de nombreux laits infantiles (non bio) contenant des protéines de lait de vache hydrolysées, qui ne provoquent pas d’allergie, ainsi que des laits infantiles (non bio) sans lactose. Rappelons que la proportion de bébés réellement allergiques au lait de vache (à ses protéines en fait) est très faible, allergie très souvent faussement « diagnostiquée » par les parents, alors que dans de nombreux cas il s’agit d’une intolérance au lactose (également présent dans le lait maternel !).


Attention à la composition des laits végétaux avec les bébés et enfants en bas âge : il ne faut faire confiance qu’aux préparations infantiles végétales dûment enregistrées comme telles
(Photo Pixabay tung256).

 

L’appellation « lait végétal » définitivement interdite

Si nous employons dans cet article, par simple convention d’écriture, le terme « lait végétal », celui-ci est cependant interdit par le Règlement (CE) n°1234/2007 du Conseil de l’Union Européenne du 22 octobre 2007, confirmé par le Règlement (UE) n°1308/2013 du Parlement européen et du Conseil du 17 décembre 2013 qui l’a remplacé : « La dénomination ″lait″ est réservée exclusivement au produit de la sécrétion mammaire normale, obtenu par une ou plusieurs traites, sans aucune addition ni soustraction ».

Dans un arrêt rendu le 14 juin 2017 dans le cadre d’un litige opposant le Verband Sozialer Wettbewerb (Association allemande de la Concurrence Sociale) à un fabricant allemand de produits à base de tofu, la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) s’est référée à ce Règlement et à d’autres textes, pour confirmer que ceux-ci « doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à ce que la dénomination ″lait″ et les dénominations que ce règlement réserve uniquement aux produits laitiers soient utilisées pour désigner, lors de la commercialisation ou dans la publicité, un produit purement végétal, et ce même si ces dénominations sont complétées par des mentions explicatives ou descriptives indiquant l’origine végétale du produit en cause, sauf si ce produit est énuméré à l’annexe I de la décision 2010/791/UE de la Commission, du 20 décembre 2010, établissant la liste des produits visés à l’annexe XII, point III 1, deuxième alinéa, du règlement no 1234/2007 du Conseil »…

Cette référence finale complexe signifie en fait que restent autorisée toute une série de produits ne contenant pas de lait animal mais dont le nom comporte un terme apparenté au monde laitier, car considérés comme « traditionnels » Par exemple : les potages du type « crème de volaille » (ou « d’asperge »), les boissons alcoolisées du type « crème de framboise », les produits de charcuterie du type « crème de foie de volaille », « fromage de tête », les « crèmes de maïs », « crèmes de riz », « crèmes d’anchois », les « crèmes » de fruits (« de pruneaux », « de marrons »), les « beurres de cacao » ou « de cacahuète », les « haricots beurre », mais aussi le « lait de coco » et le « lait d’amande ».

Les médias se sont largement fait l’écho de cette décision de la CJUE, et les défenseurs des produits végétaux, notamment nombre de webzines et de blogs sur le web, ont crié au scandale, dénonçant le « lobby de l’industrie laitière ». Il faut cependant remarquer que cette décision ne faisait que confirmer une obligation légale ancienne (le Règlement de 2007) et que dès 1986, la Commission européenne proposait - vu le développement du marché des «  produits de remplacement et d'imitation du lait et de ses dérivés » - de prendre des dispositions à leur propos, concluant que « l'étiquetage des mêmes produits ainsi que la publicité à leur égard apparaissent essentiels en vue d'une information correcte du consommateur ». Enfin, pour ne parler que de la France, de toute façon, il existait depuis bien longtemps un décret relatif au lait et aux produits de la laiterie, stipulant que « La dénomination "lait" sans indication de l'espèce animale de provenance est réservée au lait de vache. Tout lait provenant d'une femelle laitière autre que la vache doit être désigné par la dénomination "lait" suivie de l'indication de l'espèce animale dont il provient : "lait de chèvre", "lait de brebis", "lait d'ânesse", etc. ». Ce décret date du 25 mars 1924.

En fait, en prenant étendant l’esprit de ce décret quasi centenaire, et en faisant confiance d’une part à la logique des consommateurs avec des appellations aussi claires que « lait d’avoine » ou « lait de riz », et d’autre part au sérieux des fabricants de toute façon a priori soumis aux contrôles de la Répression des Fraudes, il y n’avait pas de réel problème à continuer d’employer le terme de « laits végétaux ». Qui s’inquiète, en cosmétique, qu’un lait nettoyant ou qu’une crème de jour ne contient ni lait animal ni crème animale ? Tout cela est parfaitement évident pour tout le monde !

Quoi qu’il en soit, même si aujourd’hui il n’y a plus que des « boissons au soja » ou « boissons au riz », par exemple, continuons à faire confiance à leurs fabricants (certifiés bio) et aux auteurs et nutritionnistes (re)connus nous expliquant comment en tirer la quintessence.

Restons sérieux…

Pour la petite histoire, de nombreux sites Internet et autres blogs - qui se recopient les uns les autres sans se préoccuper d’aller vérifier de quoi il retourne - soulignent l’utilisation antique de laits végétaux par la mention de lacte nucis (« lait de noix ») qui figurerait dans un ouvrage romain de compilation de recettes alors déjà anciennes, appelé De re coquinaria (« Traité de l’art culinaire »). Cet ouvrage, qui aurait été rédigé à la fin des années 300 de notre ère, citerait aussi « la technique » (sic) sucu seu lacte illius arboris à traduire selon eux par « presser le lait de certaines plantes ou certains arbres ». Or ces quelques mots sont en fait extraits d’une note de bas de page précisant ce qu’est un ingrédient appelé cucino : « cucino ?ου??νω, sucu seul acte illius arboris cui nomen ?ο??ι, cuci 66. correxi pro cumino ». Avec une traduction exacte signifiant tout autre chose que ce qui est affirmé sur ces sites Internet : « cucino [en grec] koukino jus ou à mieux dire lait de cet arbre dont le nom est kouki, [voire note pour] cuci [n°] 66 que j’ai corrigé en cumin ». Cette note 66 est justement celle qui parle du lacte nucis, à propos d’une recette d’asperges.

De plus, ces notes sont en fait celles ajoutées par un commentateur dans des éditions « modernes » (la première datant de 1497) de ce texte romain et elles ne sont donc pas de la main de l’auteur antique originel. Comme de nombreux ouvrages savants à cette époque de la Renaissance, ces notes de commentaires sont en effet écrites en latin. En l’occurrence, celles-ci sont destinées à éclairer le lecteur sur la compréhension du texte romain intial, qui non seulement ne cite donc pas la phrase sucu seu lacte illius arboris mais pas non plus le lacte nucis. Plus précisément, à ce propos-là, le commentateur/éditeur tente d’expliquer, en note de bas de page aussi, un ingrédient appelé cicabis suco (jus de « cicabis ») dans le texte antique de la recette d’asperges, en le disant dérivé du grec koukos, et c’est ce même commentateur qui « traduit » en latin par lacte nucis. Sachant de plus qu’en grec ancien, koukos signifiait en fait « grain », mot que l’on retrouve par exemple dans des éditions anciennes de la Bible sous la forme kokkos. Rien ne semble donc prouver que ce cucino/koukino est du « lait de noix ». Au mieux c’est un « lait de graine », mais on ne sait pas de quelle graine il s’agit ni comment il a été obtenu, le commentateur optant donc pour le… cumin, de fait une petite graine.

Nulle part donc, cet ouvrage de cuisine romaine ne cite expressément de « lait de noix » et en encore moins l’existence d’une « technique » (?) consistant à « presser le lait de certaines plantes ou certains arbres », traduction parfaitement incorrecte. De telles sources traitées de manière fantaisiste ne sont malheureusement pas rares dans le monde des produits bio et remèdes traditionnels.

© reproduction interdite

 


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