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Entre le label AB (Agriculture biologique) et le label bio européen, c’est le premier qui est de loin le plus connu du grand public. Le cahier des charges bio européen suscite d’ailleurs de moins en moins d’adhésion de la part de nombreux producteurs et transformateurs. D’où l’apparition d’autres labels, privés, le dernier en date étant le label « BFE ».

Le Label AB mieux connu que « l’eurofeuille » européenne

Chaque année, l’Agence Bio – le groupement d'intérêt public créé en 2011 par les ministères de l'Agriculture et de l’Écologie pour contribuer au développement de l'agriculture biologique en France – publie un « Baromètre de consommation et de perception des produits biologiques en France », basé sur un sondage réalisé auprès d’un échantillon de la population française. De son édition 2019, il ressort que 97 % de nos compatriotes connaissent le logo AB apposé sur les produits bio, mais seulement 59 % le logo européen correspondant, appelé « eurofeuille » (représentant une feuille verte portant les étoiles du drapeau européen).

C’est en 1980, dans le cadre de la loi d’orientation agricole du mois de juillet de cette année-là, que les pouvoirs publics avaient reconnu l’existence d’une « agriculture n’utilisant pas de produits chimiques, ni pesticides de synthèse », fruit de longues années de travail de militants pionniers. En mars 1985, cette agriculture alternative fut officiellement baptisée « agriculture biologique », permettant l’homologation d’un cahier des charges (référentiel) à l’échelon national. L’apparition, cette même année, du logo AB permit aux consommateurs d’identifier les produits bio. En 1996, le logo initial fut remplacé par celui que nous connaissons aujourd’hui, sur lequel les lettres A (agriculture) et B (biologique) sont nettement plus lisibles.

Ancien logo AB (1985), nouveau logo AB (depuis 1996), ancien logo européen (2000), nouveau logo européen (eurofeuille, depuis 2010).

 

Un cahier des charges européen à partir de 2000

Au sein de l’Union européenne, un premier règlement sur l'agriculture biologique, commun à tous les pays membres, entra en vigueur en 1992 (Règlement européen n°2092/91), suivi en août 1999, de règles supplémentaires relatives à l'inspection des élevages animaux ainsi qu’à la production et à l’étiquetage des produits qui en sont issus (Règlement n°1804/1999). Les règles de base portaient sur l'interdiction d'utiliser des engrais chimiques, des pesticides ou herbicides de synthèse, ainsi qu’à celle des organismes génétiquement modifiés (OGM). Un logo européen fut introduit en 2000, analogue aux logos - encore en vigueur actuellement - des produits bénéficiant de l’Appellation d’origine protégée (AOP), de l’Appellation d’origine contrôlée (AOC) ou de Spécialité´ traditionnelle garantie (STG) (voir notre article ici).

Ce premier logo européen fut remplacé en 2010 par le logo actuel, appelé « eurofeuille », à la suite d’un nouveau règlement européen sur l’agriculture biologique, adopté en 2007 et entré en vigueur en 2010 (n°834/2007) L’ancien logo resta utilisable jusqu’en 2012.

Proche du règlement européen précédent, ce nouveau référentiel, toujours en vigueur en 2020, garantit entre autres, pour les produits qui l’affichent : un minimum de 95 % d’ingrédients issus de l’agriculture, les 5 % devant figurer sur une liste positive d’ingrédients autorisés ; l’absence d’OGM, des traces provenant d’une contamination « fortuite » ou « techniquement inévitable » étant autorisées dans la limite de 0,9 % du produit. L’utilisation de produits phytopharmaceutiques ou autres additifs voire de matières premières non bio est ponctuellement autorisée « pour lutter contre un organisme nuisible ou une maladie particulière pour lesquels on ne dispose ni d'alternatives sur le plan biologique physique ou de la sélection des végétaux, ni d'autres méthodes de culture ou pratiques de gestion efficaces ». Idem en ce qui concerne l’alimentation animale, pour laquelle sont autorisés des additifs non bio s’ils sont nécessaires « pour préserver la santé, le bien-être et la vitalité des animaux et contribuer à un régime alimentaire approprié répondant aux besoins physiologiques et comportementaux des espèces concernées ».

« Label européen » ne signifie cependant pas que le produit provient de l’Union européenne : il faut pour cela regarder la mention additionnelle : « (Agriculture) UE » si au moins 98 % des matières premières agricoles du produit viennent de l’Union européenne, « (Agriculture) non-UE » si 98 % des ces matières premières n’en proviennent pas, et « Agriculture UE/ non-UE » s’il s’agit d’un mélange. Si 98 % des matières premières agricoles proviennent du même pays, le nom de celui-ci peut remplacer les mentions « UE » ou « non UE » (exemple « Agriculture France »).

Ce nouveau cahier des charges européen de 2010 remplaça le référentiel bio français, la présence du logo AB restant cependant autorisée, de manière « facultative », à côté de l’eurofeuille. La raison : la notoriété du label AB était telle en France qu’il était nécessaire de le conserver, pour ne pas désorienter les consommateurs.

Mais si ce double affichage fut possible, c’est aussi parce que le référentiel français s’est à l’époque aligné sur le nouveau référentiel européen. Un alignement qui provoqua de nombreux mécontentements, ce cahier des charges européen étant moins exigeant sur de nombreux points, comme la présence de traces d’OGM ou certains critères relatifs à l’élevage animal.

La présence simultanée de ces deux logos renvoie en fait à un seul et unique cahier des charges, le label AB ne garantissant pas l’origine France. Seule la mention « Agriculture France » permet de savoir qu’au moins 98 % des ingrédients sont d’origine française.

 

Un nouveau cahier des charges européen à partir de 2021

Après quatre longues années de négociation entre les pays, l’Union européenne a adopté le 30 mai 2018 une nouvelle réglementation (Règlement n°2018/848) applicable à l’agriculture et aux produits biologiques à partir du 1er janvier 2021. Il durcit certains points du précédent Règlement de 2007, prévoyant par exemple le renforcement des contrôles sur les importations en provenance des pays non membres de l’UE et l’obligation, pour les produits importés, à l’issue d’une période de transition de cinq ans, de respecter les normes bio européennes. Actuellement, le souci est en effet qu’il existe des accords d’équivalence entre l’UE et certains pays tiers (Argentine, Australie, Canada, Chili, Costa Rica, Inde, Israël, Japon, Tunisie, Corée du Sud, Nouvelle-Zélande, Suisse, USA), ce qui signifie que les contrôles et certifications sont fait selon les normes en vigueur dans ces pays, et qu’une fois qu’ils y sont certifiés, ils n’ont pas besoin de se faire recertifier selon la réglementation européenne pour être vendus en Europe sous le label bio. Or, les exigences de certification dans certains de ces pays étrangers sont connues pour être parfois bien moins strictes que chez nous.

Ce nouveau Règlement prévoit aussi, entre autres, de renforcer les contrôles sur la suspicion de contamination par des pesticides engrais ou engrais chimiques, ainsi que, globalement, tout au long de la chaîne, de la production à la distribution : le bio étant un marché en croissance, les fraudes le sont également.

Néanmoins, malgré les améliorations prévues dans ce nouveau référentiel européen, nombreux sont les acteurs français de la branche bio à s’inquiéter, comme c’est le cas depuis des années, d’une éventuelle « bio à deux vitesses », un même logo s’appliquant à des produits à la qualité et à l’éthique parfois très différentess. À cela s’ajoute le fait que la présence simultanée sur un produit du logo AB et de l’eurofeuille signifie pour beaucoup de consommateurs que ce produit est conforme au cahier des charges français (voire d’origine française…) alors qu’il n’existe plus, vu qu’il s’est aligné (et s’alignera encore dans le futur) sur le cahier des charges européen, comme dit plus haut.

Le Conseil Economique, Social et Environnemental (CESE), une agence publique officielle française, avait exprimé un avis à ce sujet dans un rapport daté du 13 juin 2018, proposant l’expérimentation, au niveau français, d’un nouveau « signe officiel de la qualité et de l’origine » (SIQO : nom officiel des labels type AB), qui garantirait une « agriculture biologique locale et équitable ». Aux critères réglementaires sur la production et la transformation déjà existants seraient rajoutés des critères relatifs aux lieux de production, voire de transformation et de commercialisation, ainsi que la prise en compte de l’analyse du cycle de vie des produits, c’est-à-dire leur impact environnemental, de la production à la consommation, ainsi que des critères éthiques, sociaux et environnementaux. La suggestion fut que ces critères soient associés au label AB, qui seraient ainsi de facto un label « bio plus » l’eurofeuille étant conservée pour identifier les produits « juste » conformes à la réglementation européenne.

Le problème, c’est que cela créerait officiellement une « bio à deux vitesses » et surtout une confusion dans l’esprit des consommateurs qui avaient fini par comprendre que label AB et eurofeuille signifiaient la même chose depuis 20 ans. Aucune action concrète n’a suivi cet avis du CESE.

Des certifications alternatives depuis le début des années 2000

La dénonciation d’une « bio à deux vitesses » était cependant née dès le début des années 2000, après que le référentiel AB français se soit « fondu » dans le cahier des charges européen.

Ainsi apparurent des référentiels privés, plus stricts sur de nombreux points, mettant souvent de plus en avant la production locale, à l’instar de BioBourgogne, marque régionale créée dès 1981. L’Association des Producteurs de Fruits et Légumes Bio de Bretagne créa par exemple la marque BioBreizh en 2002 et l'association des producteurs de fruits et légumes biologiques des Pays de la Loire fit de même avec la marque Bio Loire Océan en 2005. L’aura de ces labels privés ne dépasse souvent pas la région correspondante. Certains se limitent parfois à rajouter principalement au cahier des charges européen la garantie d’une production locale, comme Alsace Bio (2004), Paysan Bio Lorrain (2005), Bio Sud-Ouest (2013).

Bien avant le nouveau Règlement européen de la période 1990-2000, des militants de la première heure de l’agriculture bio, soucieux d’une qualité maximale, s’étaient désolidarisés des démarches officielles, en créant des référentiels plus qualitatifs (parce que plus exigeants) pour l’agriculture, la production et la transformation biologique. D’une part les cahiers des charges Demeter (agriculture biodynamique, évoqué ici dans nos pages, à propos de l’élevage et de la viande) dans les années 1990 et d’autre part le cahier des charges Nature & Progrès créé dès 1964, qui fut le premier label privé réglementant l’agriculture biologique en France.

Parce que ni le label AB ni l’eurofeuille ne garantissent donc rien en matière d’éthique, de social, d’équitable ou de solidaire, deux autres certifications privées ont vu le jour en France.

La première est la certification Bioentreprisedurable®, alias BioED® (nouvelle appellation lancée en juin 2018), une démarche RSE (responsabilité sociétale des entreprises), née à l’initiative du Synabio, le Syndicat français des transformateurs et distributeurs bio. D’abord lancé sous la forme d’un autodiagnostic en 2009, Bioentreprisedurable® est devenu depuis 2014 un label RSE 100 % indépendant.

La seconde certification est Biopartenaire® applicable à des filières 100 % bio « de A à Z ». C’est une initiative du Synabio, groupe d’entreprises pionnières de la Bio (regroupées dès 2002 en association), destinée à promouvoir l’importance des relations d’échanges équitables entre tous les acteurs d’une même filière biologique. Ceci n’existe nulle part ailleurs sous cette forme et aucun label ne garantit ces points. Initialement, l’association proposait deux labels différents, Biosolidaire® et Bioéquitable® qui ont coexisté jusqu’en 2015, date à laquelle elle a décidé de simplifier en les rassemblant sous un label unique portant son nom.

Les deux logos bioentreprisedurable / BioED et celui de Bio Partenaire.

« Biologique. Français. Équitable », un nouveau logo

Face à une bio qui s’industrialise et à la menace d’une bio importée de moindre qualité, et malgré l’annonce prochaine du nouveau Règlement européen, d’autres acteurs ont également œuvré pour certains resserrement des critères. C’est notamment le cas de la FNAB (Fédération nationale d’agriculture biologique, née en 1978, qui regroupe 10 000 fermes bio françaises).

Celle-ci se veut en effet être le défenseur d’une approche de l’agriculture bio qui va au-delà du simple cahier des charges européen. Elle souhaite « inclure de nouveaux critères sociaux, comme la rémunération des productrices et producteurs bio », avec « la conviction qu’il faut reconnecter l’alimentation avec les territoires en relocalisant les productions ».

C’est dans cet esprit que le FNAB a lancé, en février 2020, un nouveau label bio, baptisé « Bio.Français.Équitable » (BFE). Bio, parce ce qu’il reprend comme base le cahier des charges du label bio européen, garantissant des produits sans pesticides ni engrais chimiques de synthèse et sans OGM. Français, car il garantit l’origine française des produits, « pour une bio qui privilégie la proximité et la relocalisation des productions ». Enfin équitable, car il intègre les critères de la loi sur l’Economie sociale et solidaire de 2014, qui définit le commerce équitable, et notamment :

  • Un engagement entre les parties au contrat sur une durée d’au moins 3 ans, permettant au producteur de limiter l'impact des aléas économiques : les contrats BFE sont ainsi d’une durée de 3 ans, renouvelables.
  • Le paiement par l’acheteur d’un prix rémunérateur, établi sur la base des coûts de production : dans le label BFE, ce prix intègre la juste rémunération des agriculteurs au prorata des heures travaillées; une marge leur permettant d'investir dans leur(s) outil(s) de production et de commercialisation; les aléas et risques, notamment climatiques, avec lesquels ils doivent composer.
  • L’octroi par l’acheteur d’un montant supplémentaire destiné aux projets collectifs : dans le label BFE, 1 % du chiffre d’affaires réalisé sur les ventes du produit fini est ainsi reversé aux organisations de producteurs. Le label BFE va plus loin que la loi en instaurant une discussion annuelle du prix, sur la base d’indicateurs identifiés et validés par les producteurs, afin de limiter le risque d’une déconnexion entre les coûts de production et les prix de vente.

Initialement lancé dans trois régions, Bretagne, Nouvelle Aquitaine et PACA, c’est dans le Sud-Ouest que le projet a réussi à aller le plus loin avec une gamme de produits biologiques, cultivés et distribués dans un bassin de vie cohérent. En l’occurrence, ce nouveau label BFE a été apposé pour la première fois sur quatre légumes (courgette, maïs, haricot vert, carotte) d’une gamme construite avec la marque de surgelés Picard, distribués à partir du 2 mars 2020 dans 87 magasins de Nouvelle Aquitaine et d’Occitanie.

Ce label concerne aujourd’hui l’origine de la production biologique et le commerce équitable, mais il pourrait aller plus loin encore dans le futur. Il pourra également s’étendre à d’autres régions, d’autres produits français et à d'autres marques ou enseignes de distribution, si celles-ci s’engagent aussi avec la FNAB.

Dans tous les cas de figure, ce nouveau label est une nouvelle preuve que les agriculteurs bio français veulent se distinguer en s’engageant sur une qualité supérieure, à l’heure où ce secteur est de plus en plus devenu un gigantesque marché où le mercantile passe parfois avant l’éthique.


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