En ce début de 21e siècle, limiter sa consommation de viande est devenu un choix de mode de vie pertinent. Sans devenir totalement végétalien ni même végétarien, il existe en effet de nombreuses raisons pour changer sa façon de s’alimenter [https://www.annuairevert.com/magazine/9-tendances/83-pourquoi-manger-vegetarien]. Mais comme notre organisme a absolument besoin d’une quantité minimale de protéines, nous devons obligatoirement en consommer. Réduire la quantité de viande que nous mangeons ne signifie donc pas diminuer la quantité de protéines dans notre alimentation. Fort heureusement, les protéines végétales conviennent tout aussi bien, dans la plupart des cas.
Les végétaux, sources variées et infinies de protéines
En fonction de l’âge et du sexe, les apports nutritionnels conseillés en protéines varient bien sûr. Ces protéines doivent correspondre à 11 à 15 % de l’apport en énergie de l’alimentation, ce qui correspond à une quantité d’environ 50 g par jour pour une femme adulte et à environ 60 g pour un homme adulte. Cette différence provient du poids moyen entre hommes et femmes, la recommandation de consommation quotidienne étant en fait de consommer autour de 0,8 g de protéines par kilo de poids corporel.
Mais la viande n’est donc pas la seule source de protéines, nombre de végétaux excellents à cuisiner en contenant également des quantités importantes. Il y a ainsi les céréales (épeautre, riz sarrasin…) et pseudo-céréales (quinoa), les noix, graines et autres fruits oléagineux (amandes, noisettes, noix de cajou, pistaches…), les légumineuses (haricots rouges, lentilles, pois chiches, soja…), les fruits séchés (dattes, figues…), les algues (dulse, kombu, nori, spiruline…), les champignons, etc.
Depuis des siècles, d’innombrables façons de les préparer sont connues, mais ces dernières années, les fabricants ont su développer de nouvelles formes de présentation, à base de certaines protéines végétales. Celles-ci permettent de varier les plaisirs gustatifs, notamment en reconstituant des textures (le « mordant ») et des possibilités d’être cuisinées qui étaient jusque là réservées aux produits à base de viande.
Les substituts de viande, une histoire centenaire
Si l’utilisation alimentaire des protéines végétales est aussi ancienne que celle de l’agriculture, c’est durant la Première guerre mondiale que furent mis au point les premières préparations reproduisant à grande échelle les produits carnés, à une époque et dans un pays où la pénurie de viande devenait de plus en plus dramatique… En l’occurrence, c’est en 1916 que le jeune adjoint au maire de la ville de Cologne, en Allemagne, responsable de l’approvisionnement alimentaire, inventa une saucisse à tartiner (spécialité typiquement germanique) à base de soja (baptisée Kölner Wurst, soit « saucisse de Cologne »), selon un procédé qu’il fit breveter, malgré la guerre, dans de nombreux pays, dont le Royaume-Uni, la Belgique, l’Autriche ou la Suisse. Cet adjoint au maire, né en 1876 et décédé en 1967, s’appelait… Konrad Adenauer. Celui-là même qui devint le premier chancelier de la République Fédérale allemande en 1949 et fut un des ouvriers du rapprochement franco-allemand avec le général De Gaulle.
L’emploi du soja - plante d’origine asiatique et surtout chinoise – pour ce premier « substitut de viande » pourrait surprendre. Cette légumineuse avait en fait été introduite en Europe et aux Etats-Unis dès les années 1700, sa culture restant néanmoins anecdotique jusqu’à la fin du 19e siècle. Aux USA, jusque dans les années 1920, le soja fut très peu utilisé pour l’alimentation humaine, restant surtout une plante fourragère (alimentation animale), une source d'huile, de farine (également pour l'alimentation animale) et de quelques produits industriels. Mais en France, du pain pour diabétique à base de soja fut commercialisé dès 1888, et vers 1908-1909 une société de La Garenne-Colombes baptisée la Caséo-Sojaïne, fondée par Li Shizeng (aussi appelé Li Yuying), un chinois expatrié, commença à fabriquer et à distribuer du tofu, du lait de soja, du jambon végétal, etc.
La « Caséo-Sojaïne », société pionnière des substituts de viande en France dès 1908 (cartes postales anciennes, coll. part.).
Depuis ces « inventions historiques », que furent le jambon végétal de Li Shizeng et la saucisse à tartiner de Konrad Adenauer, bien d’autres matières premières végétales ont été mises à contribution pour fabriquer une grande variété de produits, les uns reproduisant des formes de présentation auparavant réservées aux dérivés carnés, comme dit plus haut, et les autres offrant des goûts et des textures jusque là inconnus, tout au moins sous nos latitudes. Les trois principaux aliments d’origine végétale susceptibles de remplacer la viande sont le tofu, le seitan et le tempeh.
Le tofu
Même si certains auteurs affirment que son invention date d’il y a au moins 2000 ans, le tofu n’est réellement attesté que depuis les années 900. Originaire de Chine, son utilisation s’étendit ensuite à la Corée et au Japon puis au reste de l’Extrême-Orient. Il est fabriqué à partir de lait de soja, lui-même obtenu à partir de graines de soja broyées et mélangées avec de l’eau (voir ici https://www.annuairevert.com/magazine/1-alimentation-bio/2-les-boissons-vegetales). Le processus d’obtention s’apparente à celui de la fabrication du fromage à partir du lait de vache. En l’occurrence, les composants protéiques du lait de soja sont coagulés à l’aide de chlorure de magnésium (chez les japonais du nigari extrait de l’eau de mer) ou de calcium, de sulfate de calcium (du gypse), d'acide citrique (du jus de citron) voire parfois directement à l’eau de mer. Le fromage de soja ainsi obtenu est plus ou moins déshydraté puis pressé en blocs.
Le tofu obtenu sera différent selon l’agent coagulant utilisé, en particulier sur le plan de la texture ou de son grain, ainsi que selon la façon dont on procède à la coagulation (durée, pressage, etc.) et s’il est travaillé ultérieurement ou pas. On distingue notamment les tofus frais et les tofus transformés.
Parmi les tofus frais, il y a le tofu soyeux, non égoutté, qui a la teneur en eau la plus élevée. Sa texture rappelle celle de la crème anglaise. Le tofu ferme asiatique traditionnel (parmi lesquels le « tofu coton ») est un tofu frais égoutté et pressé, à la teneur en eau encore assez importante. Sa consistance est proche de celle du pudding. Le tofu séché est celui qui a la teneur en eau la plus faible, comme son nom l’indique. Sa texture est assez proche de celle de la viande cuite, bien que légèrement caoutchouteuse. Elle permet de nombreuses utilisations, par exemple sous forme hachée.
Il existe de nombreuses formes de tofus transformés, comme le tofu congelé (qui craquèle après avoir été passé au congélateur), le tofu fermenté (séché puis ensemencé avec certains types de moisissures), le tofu puant qui est une variété de tofu fermenté à l’odeur forte rappelant celle de fromages du type munster, des tofus marinés, etc. | Le tofu est sans doute le substitut de viande le plus connu du grand public (Photo Pixabay Devanath). |
A noter qu’il existe aussi des tofus fabriqués à partir d’autres légumineuses, comme le tofu noir (à base de soja noir), le tofu d’arachides (à base de cacahuètes) ou le tofu birman (à base de pois chiches).
Naturellement, le tofu n’a presque pas de goût et d’odeur. Il se prête donc très bien à toutes sortes d’assaisonnements, sucrés ou salés, sans parler des différentes marinades. Si les tofus frais du type soyeux ou coton sont surtout utilisés pour préparer des sauces, soupes ou desserts, c’est le tofu sec qui se prête plus particulièrement à être utilisé comme substitut de viande, de nombreuses façons : grillé, sauté, braisé. Et d’autres méthodes de transformation mises au point industriellement (donnant des « protéines de soja texturées ») permettent d’obtenir des produits imitant quasiment à la perfection la texture fromage, du pudding, des œufs, du bacon, etc.
Le seitan
Si le tofu est fabriqué à partir de soja et de quelques autres légumineuses, le seitan est obtenu quant à lui à partir de blé : il s’agit de gluten, la principale protéine du blé. Bien que surtout promu à partir du début des années 1960, par le Japonais Georges Ohsawa (1893-1966), fondateur de la macrobiotique (ce système philosophique au cœur duquel l’alimentation joue un grand rôle) qui lui a donné son nom actuel, le seitan est également un produit traditionnel très ancien. Son emploi est en effet attesté en Chine dès le 6e siècle, utilisé entre autres comme ingrédient pour les nouilles chinoises et consommé comme substitut de viande par des moines bouddhistes végétariens. Il se répandit ensuite rapidement au Japon et dans nombre d’autres pays d’Extrême-Orient.
En Europe et aux Etats-Unis, l’emploi du gluten de blé comme aliment commença à être connu à partir du 18e siècle.
Tranches de seitan cuisiné comme un rôti (Photo nclm via Wikimedia Commons). | La matière de base pour la préparation du seitan est la farine de blé. Celle-ci est pétrie avec de l'eau pour former une pâte qui, après un temps de repos, est de nouveau pétrie sous l’eau, ce qui lave progressivement la pâte d’une grande partie de l’amidon qu’elle contient, avec comme résultat final une masse dure, riche en gluten. On peut également utiliser directement de la farine de gluten (co-produit de la fabrication d’amidon à partir de céréales, principalement le maïs), dans laquelle amidon et gluten ont déjà été séparés, ce qui permet de se passer du lavage. On notera cependant que le seitan n’offre qu’une teneur extrêmement faible en lysine. Comme c’est un acide aminé essentiel (présent notamment dans la viande, le poisson et le fromage), il est donc impératif de s’assurer qu’un apport suffisant est assuré par ailleurs (légumineuses par exemple : haricots, pois cassés, soja…et donc le tofu, mais avec des teneurs néanmoins variables). |
Après cuisson (traditionnellement à la vapeur, avec une marinade), le seitan gagne une consistance très proche de celle de la viande. Il est ensuite coupé en tranches ou en morceaux, pouvant être utilisé tel quel, ou encore rôti, frit ou cuit au four. A l’instar du tofu, il existe de nombreuses façons de préparer le seitan en amont, ce qui lui donne des textures et des goûts différents, pour des usages également différents.
La cuisine japonaise connaît par exemple le Fu, produit d’abord fabriqué comme du seitan conventionnel, mais ensuite rôti, cuit à la vapeur et enfin séché, ce qui donne un produit dur et léger. Avant de le cuisiner, il faut le tremper dans l'eau chaude, puis le presser pour pouvoir l’utiliser comme du seitan, sachant qu’il peut aussi être mis directement dans de la soupe par exemple.
Dans les pays occidentaux, les procédés d’obtention variés de seitan, avec donc des textures diverses, permettent de fabriquer industriellement des produits du type viande hachée, saucisse, rôti, steak ou escalope, etc.
Le tempeh
Un peu moins connu que le seitan et surtout que le tofu, en particulier du grand public, le tempeh est également un produit fabriqué à partir de soja, mais originaire d'Indonésie, où il est connu au moins depuis le 12e ou le 13e siècle.
Contrairement au tofu qui est de la protéine de soja coagulée, le tempeh est fabriqué à partir de graines de soja entières, trempées et décortiquées, qui sont mises à fermenter. Cela donne un produit avec des qualités nutritionnelles et texturales différentes. Le tempeh est notamment plus riche en protéines, glucides, lipides et vitamines que le tofu traditionnel. Il a une texture ferme et une saveur terreuse (arômes de champignon, de noix et de levure), qui devient plus prononcée en vieillissant.
A l’instar du tofu ou du seitan, les manières de préparer le tempeh en cuisine sont nombreuses, adaptées à sa texture : coupé en morceaux et trempé dans de la saumure ou de la sauce salée ,puis frit, ou encore cuit à la vapeur, mariné, tranché finement, émietté, râpé pour en faire de la « viande hachée », utilisé en ragoût, etc. On peut également fabriquer du tempeh à partir d'autres types de haricots, de blé, de noix de coco ou d’arachides, la fermentation étant faite avec d’autres types de champignons ou germes. |
Tempeh coupé en tranches (Photo FotoosVanRobin via Wikimedia Commons). |
Le Quorn
Le Quorn (nom qui est une marque déposée britannique), est une mycoprotéine, c’est-à-dire une protéine de champignons. Celle-ci est produite dans des fermenteurs par un champignon filamenteux (Fusarium venenatum, en fait plutôt un micromycète, comme la levure de bière ou les « bonnes » moisissures de nombreux fromages), un parasite de plantes découvert dans le sol en 1967. Après un programme d'évaluation qui dura 10 ans, cette mycoprotéine fut autorisée en 1985 pour la consommation humaine.
Cordon bleu de Quorn (Photo Anne Jea via Wikimedia Commons). |
Mais pour pouvoir donner à cette protéine les multitudes de formes ressemblant à de la viande, on lui ajoute en général du blanc d'œuf (albumine) comme liant, ou même du lait. Ces produits conviennent donc aux végétariens mais pas aux vegans. Dans certaines préparations, le blanc d’œuf est cependant remplacé par de la protéine de pomme de terre, ce qui leur permet d’être garanties vegan. |
Et ce n’est pas fini…
On peut faire confiance aux transformateurs alimentaires pour que toujours plus de produits végétaux offrant des goûts et des textures analogues à ceux des dérivés carnés nous soient proposés, quelles que soient les raisons qui poussent les consommateurs à rechercher ce type de substituts de viande. D’ailleurs, bien d’autres produits que le tofu ou le tempeh de soja, ou que le seitan de blé, existent déjà : on peut également faire du tempeh à partir de lupin par exemple. Sans oublier les céréales (blé, boulgour) et légumineuses (pois chiches, fèves) qui permettent d’obtenir, sans transformations fondamentales, des galettes, steaks, boulettes ou nuggets des plus gourmands. Et on pourrait aussi parler de certaines algues, qui peuvent par exemple se préparer en burgers…
Mais si on se tourne vers de tels substituts de viande, il faut alors impérativement privilégier les marques certifiées bio. Car ce qui est vegan n’est pas forcément bio, loin de là ! Encore plus quand les produits viennent de grandes entreprises de l’agro-alimentaire qui y ont vu un « juteux » marché à conquérir. Et on sait que dans leur cas éthique et développement durable n’ont jamais été au cœur de leur raison d’être… Et il faut encore plus se méfier avec les produits à base de soja : si la culture du soja transgénique est interdite en France, la majorité ce qui est produit dans le monde est de fait OGM. Le seul choix raisonné est donc celui de produit garantis à la fois vegan et bio.