En matière de cosmétique, les huiles sont mises… à toutes les sauces. Dans quelle mesure sont-elles réellement utiles à la peau ? En quoi sont-elles si différentes les unes des autres ? Quelle est la part éventuelle de marketing ? Petit tour d’horizon.
Peau et lipides
Notre peau a besoin d’être protégée et nourrie, c’est un fait connu. Mais pourquoi lui apporter des huiles ? Les huiles, comme les graisses (solides) ou même certaines cires, ce sont des lipides, c’est-à-dire, pour les scientifiques des esters (associations moléculaires particulières) d’acides gras et d’alcool. Un lipide, c’est donc aussi un « produit chimique », car la chimie c’est également la vie (la vie a d’ailleurs commencé par des réactions chimiques).
Les alcools sont des chaînes d’atomes de carbone, l’un d’entre eux étant lié à un atome d’oxygène et d’hydrogène (OH, groupe hydroxyle). Pour les graisses et les huiles, qui sont des graisses liquides aux températures ordinaires, cet alcool lié à l’acide gras est le glycérol (également appelé glycérine).
De son côté, un acide gras, c’est une chaîne d’atomes de carbone dont le dernier est lié à deux atomes d’oxygène et un atome d’hydrogène (noté COOH et appelé « groupe carboxyle »), ce qui confère certaines propriétés particulières. Ces acides gras ne sont pas à confondre avec les acides forts (acide chlorhydrique, acide sulfurique, acide nitrique, etc.) qui sont eux très corrosifs et ont des propriétés totalement différentes. Certains de ces acides gras (acide linoléique, acide alpha-linolénique) sont dits essentiels (appelés alors AGE pour « acides gras essentiels ») parce que notre corps ne sait pas les fabriquer. Il faut donc les lui apporter.
Ces AGE sont importants pour notre peau car ils sont entre autres d’une part des constituants des membranes entourant (et protégeant) nos cellules cutanées et d’autre part des constituants du ciment intercellulaire qui lie les cellules de l’épiderme (stratum corneum).
Ceci explique pourquoi il faut apporter à notre corps, via les lipides, ces acides gras, soit au travers de notre alimentation soit par voie topique (application directe sur la peau). Cette dernière voie présente un avantage certain pour la peau (utilisation ciblée) car par voie orale, les acides gras sont utilisés dans l’ensemble du corps, partout où il en a besoin (cerveau, défenses immunitaires…) et pas forcément pour la peau.
(image freepic.diller via Freepik)
Soigner sa peau avec une huile seule ?
Nombreuses sont les personnes qui pensent que pour soigner la peau du visage de la façon la plus naturelle possible, il « suffit » de la nettoyer au savon (une aberration sur laquelle nous ne reviendrons pas ici) et de la « nourrir » avec une huile. Si certaines de ces personnes peuvent effectivement présenter une belle peau simplement grâce à l’application d’une huile de soin, c’est juste une… chance due à leur « constitution » personnelle. Car si une peau sèche manque de lipides, les peaux déshydratées manquent en plus, elles, d’eau. Or si une peau manque de lipides, la barrière cutanée est atteinte, et sujette à l’évaporation : la peau manque donc aussi d’eau. Très souvent, une peau sèche est aussi déshydratée, alors que toutes les peaux déshydratées ne sont pas forcément sèches !
Cette eau se fixe dans la peau sous l’influence du NMF (Natural Moisturizing Factor pour « facteur naturel d’hydratation »), composé entre autres d’acides aminés, d’urée, de lactates (des dérivés de l’acide lactique), de sucres, d’oligo-éléments, etc. Par définition les constituants du NMF ne sont pas solubles dans les graisses mais seulement dans l’eau, et c’est via la phase aqueuse d’un produit que les fabricants peuvent les intégrer à leurs soins. A l’inverse, d’autres actifs bénéfiques pour la peau (vitamines A, D, E, caroténoïdes) sont eux uniquement solubles dans les graisses. D’où la nécessité aussi d’une phase grasse, en parallèle d’une phase aqueuse.
Pour une nutrition complète et équilibrée de la peau, il faut ainsi un produit de soin avec à la fois une phase aqueuse et une phase grasse, en clair une émulsion (lait, crème, masque, certains baumes…).
L’huile employée seule est donc parfaitement insuffisante pour entretenir complètement la peau. Elle peut néanmoins être appliquée sur la peau comme un « produit additionnel », mais il faudra la faire suivre d’une émulsion, crème visage a priori, qui aidera de plus à « véhiculer » les actifs gras (liposolubles, c’est-à-dire uniquement solubles dans les lipides) de cette huile. C’est d’ailleurs pour cela qu’on conseille de mettre d’abord l’huile sur la peau nettoyée du visage, puis seulement la crème visage, et non l’inverse.
Rappelons en outre qu’une huile pure ne peut pas être non plus un démaquillant parfait : certes elle dissoudra le sébum excédentaire, les restes de maquillage gras et autres déchets liposolubles : mais elle ne pourra pas éliminer de façon efficace les saletés et impuretés hydrosolubles, comme les poussières. C’est pour cela que le nettoyant/démaquillant idéal, capable d’enlever à la fois les salissures liposolubles et hydrosolubles, c’est soit un lait ou un gel nettoyant/démaquillant, soit une eau micellaire. Mais ni une huile… ni du savon !
(image rabbixel via Pixabay)
Des huiles qui n’en sont (presque) pas
Attention, toutes les huiles végétales ne sont pas forcément liquides à température ambiante. Le cas le plus typique est l’huile de coco, épaisse comme un beurre à température ambiante (sous nos latitudes) et liquide seulement au-dessus de 24 °C.
Dans certains cas, on appelle « huile » un liquide gras qui n’est pas une huile proprement dite. L’exemple le plus connu est l’excellente huile de jojoba - qui ne laisse aucun film gras et donne à la peau un aspect soyeu - qui est en fait une cire, c’est-à-dire non pas un ester d’acides gras et de glycérol, mais un ester d’acide gras et d’alcools de poids moléculaire très élevé (c’est-à-dire avec de très longues chaînes de carbone).
Cette « huile » de jojoba est extraite de la graine du jojoba (Simmondsia chinensis), une plante buissonnante originaire d’Amérique.
Il existe aussi un abus de langage devenu un usage : on trouvera sur le marché par exemple d’excellentes « huiles de carotte » ou « huiles de rose »…. Mais ni la carotte ni la rose ne sont des oléagineux : on n’obtient aucune huile en les pressant comme n peut le faire avec ces oléagineux que sont les noix, les graines de bourrache, carthame, etc. Dans le cas de ces « huiles » de carotte ou de rose, il s’agit en fait de « macérats huileux », ce qui signifie que l’on aura laissé macérer sur une huile précise une plante pour en extraire ses principes actifs liposolubles.
La qualité de ce macérat dépend non seulement de celle de la plante, mais aussi de celle de l’huile choisie comme base. Ainsi, une « huile de rose » faite sur huile d’amande douce (appartement également à la famille des rosacées, comme les roses) ne peut aucunement être comparée avec une « huile de rose » faite sur huile d’arachide, dont les qualités cosmétiques sont de loin inférieures. Les huiles de carotte peuvent être obtenues par macération à froid des carottes, mais le procédé est bien plus rapide (et plus rentable industriellement) lorsque la macération est faite à chaud (souvent dans de l’huile de tournesol). Notons que bien souvent, pour normaliser la teneur en bêta-carotène des « huiles de carotte », on y rajoute du bêta-carotène de synthèse.
Fruit du jojoba montrant sa graine (image Treegrow via Wikimedia Commons).
Des qualités techniques différentes
Pour fabriquer une émulsion cosmétique de soin (mélange d’une phase aqueuse et d’une phase lipidique), le formulateur choisit entre autres l’huile en fonction en fonction de ses qualités physiques, qui dépendent des différents acides gras contenus et de leur pourcentage respectif. Une huile de ricin, épaisse, sera ainsi trop grasse et trop collante pour une émulsion pour le visage, mais sera parfaite comme base dans du maquillage pour sa bonne solubilisation des pigments. Les huiles de jojoba ou de macadamia, plus fluides, seront parfaites pour une émulsion, apportant un « toucher » agréable. L’exotique huile de Ximenia (extraite du fruit d’un arbuste africain) laisse sur la peau un velouté particulier.
Dans certains cas cependant, on utilise des huiles modifiées (estérifiées, un procédé d’origine parfaitement naturelle) pour les rendre encore plus légères. Ces esters d’acides gras permettent d’obtenir des émulsions très intéressantes : ce sont des « silicones naturels ».
Autre raison pour choisir une huile plutôt qu’une autre : leur teneur spécifique en certains nutriments bénéfiques, pour les unes certains stérols, pour les autres des caroténoïdes, plus ou moins de vitamine E antiradicalaire, etc.
Et le marketing dans tout cela ?
Les huiles végétales sont de toute évidence à la mode, car produit souvent vendu « pur », gage rassurant de sûreté. Obligatoires en cosmétique bio et naturelle (à la place des huiles minérales et autres silicones), elles apparaissent aussi en cosmétique « conventionnelle » (non certifiée). Mais il faut rester vigilant : même en cosmétique « certifiée » on peut trouver des produits de soin qui contiennent très peu d’huiles végétales de qualité mais à l’inverse une quantité assez élevée d’ester d’acides gras peu onéreux, obtenus à partir d’huiles végétales aux qualités nutritionnelles limitées. Ceci permet en effet de faire des formules à bas prix. Les bonnes marques, et elles sont nombreuses, peuvent utiliser 10 à 15 % d’huiles végétales dans une formulation, et pas seulement quelques % pour l’image.
Le pire se rencontre en cosmétique conventionnelle (et aussi dans cette trompeuse catégorie dite « clean beauty ») : des huiles « pures » pour le visage ou le corps, qui contiennent certes une certaine quantité d’huiles végétales, mais surtout additionnées d’huiles issues de la pétrochimie (silicones par exemple).
Il y a de nombreuses huiles nouvelles sur le marché : si les huiles d’amande, d’argan, d’abricot, d’avocat, de germes de blé, de noisette, etc. sont bien connues depuis de longues années, on a vu aussi apparaître les huiles de ximenia, de baobab, de grenade, de babassu, de moringa et bien d’autres. Sur le plan « technique », nombreuses sont celles, finalement, qui se ressemblent en matière de résultats. En tant que telle par exemple, l’huile d’argan ne présente pas forcément des caractéristiques qui la rendent réellement supérieure à d’autres huiles premium.
Mais beaucoup de ces huiles sont associées à des projets socio-équitables et offrent ainsi des débouchés à des produits de qualité qui aident certaines communautés vivant sur d’autres continents. Dans le cas de l’huile d’argan par exemple, ou de l’huile de coco, son utilisation a permis l’épanouissement économique de certains villages ou associations. Dès lors, même si au départ il y a une démarche « marketing » des formulateurs juste pour ne pas avoir le même ingrédient que tout le monde (l’effet nourrissant variant souvent très peu, comme dit, entre deux huiles végétales de qualité), si au final cela permet de s’inscrire dans une démarche équitable, on ne peut que s’en réjouir.
À l’inverse, de nombreuses huiles bénéfiques pour la peau sont d’origine locale (voire régionale), comme celles de noisette, de cameline, de bourrache… mais aussi de mirabelle ou de cerise de Lorraine, d’amandon de prune du Sud-Ouest, de chanvre de Belgique, etc. Une autre façon de faire du bien à sa peau en étant solidaire de petits producteurs proches de chez nous.
Les noyaux de cerises d’origine locale peuvent aussi servir à produire une huile à usage cosmétique (images Paolo Neo et Benjamint444 via Wikimedia Commons).