COSMÉTIQUE NATURELLE :
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Un beurre végétal pur peut être très agréable à l’usage, mais il ne peut en général rivaliser avec des formulations plus complexes, avec des actifs isolés, concentrés et stabilisés, fonctionnant en synergie (photo Pixabay silviarita). |
A côté de tels ingrédients dérivés du naturel, on en trouvera d’autres plus ou moins « 100 % naturels ». Comme une huile végétale obtenue par pression d’une plante oléagineuse, une huile essentielle obtenue par distillation ou à la rigueur (ce que l’on peut considérer comme une procédé ne modifiant par l’état naturel de l’ingrédient) un extrait aqueux, alcoolique ou sec de plante. Il y a aussi des extraits de produits naturels par fractionnement, extraction séparative ou autre moyen de séparation et purification (par exemple glycérine ou acides gras obtenus par fractionnement de l’huile végétale, extraits protéiques de lait, cires végétales, etc.)... Mentionnons aussi des produits « nature identique » obtenus par fermentation également, ou action de composants de base entre eux (acides gras, lipides, alcool, sucres, etc.). Sans parler des multiples combinaisons, c’est-à-dire par exemple un produit « dérivé de naturel » que l’on aura fait réagir avec un autre composant, lui totalement naturel. Les résultats sont en général des noms chimiques rébarbatifs et inquiétants pour les personnes non averties, noms rébarbatifs qui alimentent trop souvent certains discours alarmants : il suffit de lire quelques blogs pour se rendre compte que leurs auteurs n’ont pas la moindre notion de chimie, se contentant de reproduire, plus ou moins entièrement, les sortant de leur contexte certains textes lus par ailleurs. Avec parfois à la clé des affirmations qui sont des contre-vérités absolues sur le plan scientifique. Pour la « petite histoire », sur France 2, le chroniqueur Florian Gouthière a lancé le 23 mars 2017 une alerte sur une « substance chimique inodore, incolore, omniprésente dans notre environnement, et à l'origine de centaines de milliers de morts par an », à savoir le monoxyde de dihydrogène ou MOHD. Pendant de longues minutes, il a donné des informations toutes vraies mais pouvant être comprises comme hautement inquiétantes. « Pouvant »… car ce fameux monoxyde de dihydrogène est le nom chimique de l’H2O, soit... l’eau ! C’était un simple poisson d’avril, quelques jours en avance (ce canular étant il est vrai assez ancien). Tout dépend bien de la façon dont sont parfois présentées les choses. Produit chimique = poison ? La première chose à se rappeler est que la vie, c’est de la (bio-)chimie. En permanence. Pour prendre un exemple très… basique, si vous abusez d’aliments fermentescibles (choux, légumineuses…) et que vous avez des flatulences (des « gaz »), vous avez fait de la chimie organique de synthèse en produisant du méthane, CH4 pour le chimiste ! Pour rester sur une production plus classique de notre corps, notre sueur contient entre autres du lactate (un dérivé de l’acide lactique ou acide 2-hydroxypropanoïque pour le chimiste) et de l’urée (carbamide pour le chimiste). Autre point qu’il est essentiel de garder en mémoire, c’est qu’un nom chimique donné à un produit n’est pas la preuve, ni de son origine prétendument synthétique ou (pétro)chimique, ni – encore moins - d’une éventuelle toxicité. Quelques exemples plus sérieux que celui de l’H2O cité plus haut… Pour un chimiste un litre d’huile végétale, même bio, est avant tout un litre de triacylglycérol ou de triester d’acide gras et de glycérol. CH3(CH2)7CHCH(CH2)7COOH ou acide 9-octadécénoïque : produit chimique barbare et/ou d’origine pétrolière ? Non, il s’agit de la formule détaillée de l’acide oléique, caractéristique de l’huile d’olive et si bénéfique pour notre santé ! |
Huile d’olive ? Oui, peut-être même bio. Mais sur le plan de sa composition il n’en reste pas moins qu’il s’agit principalement de triacylglycérol (photo Pixabay stevepb). |
Du café le matin ? Voici quelques molécules parfaitement naturelles responsables de la merveilleuse odeur de café grillé : furaneol, furfuryl mercaptan, 2-méthoxy-3-isobutyl pyrazine, 3-méthyl butanal, disulfure de furfuryle et de méthyle, (E)-2-nonénal, 5-méthyl furfuryl mercaptan, éthyl diméthyl pyrazine, guiacol, kahweofuranne, 2,3-pentanedione…[1]. Le café vert contient justement de l’acide caféique, qui est un acide benzoïque ou « phénolique », des composants également présents, entre autres, dans le miel et le vin. Arrêtons-là, car la composition chimique d’un vin par exemple prendrait plusieurs pages… Bref, les lignes qui précèdent sont juste quelques petites preuves parmi des milliers qu’il ne faut pas s’arrêter au nom « chimique » d’un produit pour le classer d’office parmi les « poisons ». Oui, il y a de la chimie dangereuse, et oui, il y a de la chimie non dangereuse. Mais on peut garder en tête une certaine « règle », qui fait que les produits (re-)fabriqués à l’identique en s’inspirant de la nature sont en général moins dangereux que ceux qui n’existent pas déjà dans la nature. C’est pour cela que les produits « inventés » à partir du pétrole sont si souvent nocifs pour notre corps ou pour notre environnement. Nous simplifions évidemment : la nature produit aussi des poisons, et la chimie du pétrole peut donner des composants inoffensifs. Mais en résumé, ce qui fait la preuve de la « naturalité » d’un composant, ou à l’inverse de son potentiel dangereux, ce n’est certainement pas son nom chimique. La liste INCI : l’espéranto du monde cosmétique Pourquoi d’ailleurs employer de tels noms chimiques sur les produits cosmétiques ? Cela n’est pas fait pour les produits alimentaires préparés/transformés (à l’exception des additifs, dont l’identité se cache parfois derrière les fameux codes précédés de la lettre « E »). Heureusement d’ailleurs… Certes dans certains cas, cela donnerait plus de transparence à la façon dont ces produits alimentaires ont été préparés, mais en même temps, cela inquièterait aussi parfois inutilement. [1] Source : Université de Lyon 1, Groupe Olfaction du Laboratoire de Neurosciences et Systèmes Sensoriels. Quid donc des noms chimiques utilisés dans la composition des cosmétiques, c’est-à-dire de la liste INCI ? Les noms adoptés dans cette nomenclature (mots latins et/ou mots anglais) ont été initialement imaginés en 1973 par la Cosmetic, Toiletry and Fragrance Association (CTFA), association américaine regroupant des fabricants de cosmétiques. En Europe, son utilisation est obligatoire pour les cosmétiques depuis 1998 : tous les cosmétiques doivent donner sur leur emballage la liste complète des ingrédients dans l'ordre décroissant de leur quantité et sous leur dénomination INCI. |
La nomenclature INCI est la langue internationale qui permet à des professionnels issus de pays et d’horizons différents de parler le même langage (Pixabay PublicDomainPictures). |
Pourquoi cette nomenclature unique ? Tout simplement parce qu’elle normalise les noms des ingrédients. La liste INCI n’est autre que l’espéranto (en prenant l’image de cette langue internationale inventée en 1887) du monde de la cosmétique ! Ainsi, un formulateur français est sûr de parler de la même chose qu’un fournisseur d’ingrédient coréen ou qu’un toxicologue canadien. Cela facilite déjà la compréhension… Par exemple pour parler des plantes ou de leurs extraits, pour un Allemand, une « huile essentielle d’orange » est en fait une « huile d’orange » (Orangenöl). Ou encore, ce qui est pour un Français du maïs est certes maize pour un Anglais, mais corn pour un Américain. Alors que pour un Anglais ce mot corn désigne le blé. A propos d’huile essentielle, celle de cade (excellente dans les capillaires anti-pelliculaires) est obtenue à partir de Juniperus oxycedrus, qu’il ne faut pas confondre avec le genévrier, qui est du Juniperus communis. C’est un extrait d’hamamélis (de Virginie) qui est utilisé ? Oui, peut-être, mais quelle partie ? Seule la nomenclature INCI permet d’être internationalement précis : écorce (Hamamelis Virginiana Bark Extract) ou feuille (Hamamelis Virginiana Leaf Extract), voire eau florale (Hamamelis Virginiana Flower Water), etc. ! Sans les noms botaniques retenus pour la liste INCI, plus les autres précisions possibles, que de risques d’incompréhension et d’erreurs ! Et c’est encore plus utile pour les ingrédients transformés, issus de la (bio)chimie. Par exemple, parmi les nombreux dérivés de la glycérine (par association avec un acide gras), même si ce sont tous des émollients, le Glyceryl Dioleate n’est pas du Glyceryl Oleate, ni du Glyceryl Linoleate, du Glyceryl Oleate Citrate ou encore du Glyceryl Ricinoleate… La dénomination se doit d’être précise. Et ce, d’ailleurs, même pour des choses a priori simples, comme la vitamine E qui peut être soit du Tocopherol soit du Tocopheryl Acetate. |
Les noms complexes employés dans la liste INCI d’un cosmétique permettent d’éviter des confusions, parfois très basiques : les Allemands appellent « huile d’orange » ce que nous Français appelons, plus logiquement, « huile essentielle d’orange » (image Freepik). |
Si certains noms « barbares » figurant dans la liste INCI permettent parfois d’identifier précisément des composants douteux voire, à n’en pas douter, potentiellement nocifs (mais ceci est un autre sujet), ce ne sont pas ces noms complexes qui doivent inquiéter en tant que tel. Si la cosmétique bio a atteint aujourd’hui des niveaux de qualité et d’efficacité incomparables, et parfaitement concurrentiels face à la cosmétique conventionnelle, c’est parce qu’elle a su maîtriser les subtilités d’une chimie respectueuse de la santé et de l’environnement. Et donc, inévitablement – et ne serait-ce que pour respecter la réglementation qui vise à informer en toute transparence les consommateurs – elle affiche elle aussi des noms chimiques sur ses étiquettes. |