Derrière ces délicates bulles de savon se cache un savoir-faire de plusieurs siècles (image ddimitrova via Pixabay).
Quelle famille n’utilise pas de savon ? Qu’il s’agisse de savon liquide ou de savon en pain, c’est le produit d’hygiène de base qu’il est impossible de ne pas avoir chez soi. Produit d’hygiène par sa destination, mais surtout cosmétique de par sa définition légale, il est donc directement concerné par toutes les questions qui préoccupent aujourd’hui les utilisateurs de cosmétique.
Qu’est-ce qu’un savon ?
Techniquement un savon est un produit obtenu par une réaction dite de saponification, produit qui, par son action détergente, sert au nettoyage. La saponification, c’est la réaction chimique d’une base (ou alcali) sur un corps gras. Cette base, c’est en général de la soude, alias hydroxyde de sodium, NaOH pour les chimistes.
En quelques mots, ce corps gras - molécule qui est un (tri-)ester (assemblage particulier) d’acide gras et de glycérol (glycérine) – est coupée (hydrolysée) sous l’action de la base. Par la saponification, l’ester d’acide gras se transforme d’une part en sel d’acide gras, et d’autre part en glycérine. Les Phéniciens, 1000 ans avant notre ère, connaissaient déjà cette réaction, faisant réagir de la soude végétale sur de l’huile d’olive. Les Germains et les Gaulois utilisaient aussi cette réaction, en mélangeant par exemple des cendres alcalines de bouleau et de la graisse de chèvre. Les Gaulois y ajoutaient d’ailleurs des plantes colorantes rouges pour se teindre les cheveux, appelant ce mélange sapo, ce qui est à l’origine de notre mot savon et entre autres de l’allemand Seife et de l’anglais soap, qui désignent aussi le savon.
Les Gaulois avaient frappé les Romains par leur propreté et le souci de leur hygiène. Mais en plus de servir (sans colorant dans ce cas) pour laver le corps, le savon fut aussi, chez les Gaulois, un produit médicinal : contre la chute des cheveux, contre les teignes, les suppurations des ongles, les varices, pour effacer les cicatrices des brûlures, etc.
Comment fonctionne un savon ?
Les molécules de « savon », c’est-à-dire en fait un sel d’acide gras (par exemple l’oléate de sodium dans le cas d’une saponification de l’huile d’olive par de la soude) présentent une « queue » lipophile (affinité avec les matières grasses) et une « tête » hydrophile (affinité avec l’eau) : la molécule est dite « amphiphile ». La partie lipophile permet de fixer les salissures grasses alors que la partie hydrophile en permet la dilution dans l’eau et donc leur élimination au rinçage.
Les savons liquides ne sont eux en général pas issus d’une réaction de saponification, mais d’un autre procédé d’estérification d’acides gras, ce qui permet d’obtenir directement des « bases lavantes ». Les savons mous sont de leur côté obtenus par action sur les matières grasses d’hydroxyde de potassium (KOH) et non de soude.
La soude reste un produit « chimique »
Pour réaliser une réaction de saponification, la soude reste incontournable. Cela n’est donc pas un produit 100 % naturel, bien évidemment, même s’il est théoriquement possible d’utiliser des plantes au pH basique à la place de la soude, comme la salicorne ou la salsola (plante appelée soude commune), ou les algues type varech. Mais cet usage, traditionnel dans certaines contrées, n’est pas vraiment industrialisable, surtout pour produire des grandes quantités. De plus, son coût de production serait trop élevé. Le procédé de fabrication de la soude le plus classique est l’électrolyse d’une saumure, solution concentrée de chlorure de sodium (NaCl), c’est-à-dire le même produit que le « sel de table » alimentaire. Autrefois (le procédé est encore employé aux USA), on pouvait fabriquer de la soude à partir de natron, un minéral naturel composé de sel marin et de carbonate de sodium.
En raison de ce procédé d’obtention, la soude reste classée comme « ingrédient synthétique, mais fait partie des quelques rares autorisés par l’ensemble des référentiels de cosmétique naturelle et biologique (Cosmébio/Cosmos, NaTrue, etc.). C’est même aussi le cas des référentiels plus exigeants encore, comme celui de Nature & Progrès qui précise à son propos : « La soude caustique (hydroxyde de sodium, NaOH) nécessaire pour la saponification est tolérée faute d’avoir un approvisionnement suffisant sur le marché en soude végétale (sueda vera) ». Mais le procédé d’obtention de ladite soude est bien entendu pris en considération par les référentiels : il doit respecter l’environnement. A noter qu’on voit parfois certains fabricants éviter d’écrire (!) le mot « soude », lui préférant le terme scientifique « hydroxyde de sodium » ou celui d’« alcali », visiblement jugé moins « inquiétant » pour le consommateur… Mais quel que soit le nom utilisé, on parle toujours de la même molécule, le NaOH.
Les différentes techniques
Dans la saponification industrielle la plus courante, qui se fait à chaud (autour des 100°C), la glycérine obtenue, ingrédient de valeur, est séparée des bondillons, des petites boules de savon pur qui serviront ensuite à former les pains de savon par pressage et/ou passage dans des moules. Dans les savonneries artisanales, avec en général une saponification à froid (la température ne dépasse pas 40 à 50°C), la glycérine obtenue n’est pas séparée, et vient dont enrichir les savons de ses bienfaits (elle est hydratante). De façon générale, dans cette saponification à froid, les matières premières non chauffées souffrent moins et conservent mieux leurs qualités (par exemple la vitamine E contenue dans les huiles végétales utilisées, mais aussi des phytostérols, du squalène, des alcools gras).
Inconvénient de la saponification à froid : le séchage est plus long (plusieurs semaines) et les pertes sont plus importantes. Sa rentabilité est donc moindre, ce qui limite son usage, plutôt réservé à des artisans ou à des fabricants en relative petite quantité. De son côté, une saponification à chaud sur de bonnes bases végétales, comme pratiquée par nombre de fabricants bio, sera de toute façon toujours préférable à une saponification à chaud avec ingrédients chimiques.
Du savon de Marseille, dont la recette originelle remonte à plusieurs siècles (image Jackmac via Pixabay).
Des matières grasses essentielles pour une bonne qualité
La saponification étant une réaction totale (elle ne s’arrête que lorsque toute la soude aura été consommée), il faut bien entendu utiliser une quantité suffisante d’huile pour que toute la soude soit transformée, ce qui poserait dans le cas contraire d’évidents problèmes d’agressivité pour la peau, le caractère basique de la soude attaquant celle-ci comme le ferait également un produit acide (inverse de basique). Souvent, dans les fabrications conventionnelles, des additifs chimiques sont aussi ajoutés pour ramener le pH du savon à une valeur « raisonnable ». Mais on peut par ailleurs choisir de mettre bien plus d’huile que nécessaire : non seulement on est sûr que toute la soude sera consommée, mais en plus cela donne des savons « surgras », avec un excès d’acides gras, bénéfiques pour la peau.
Comme on peut saponifier tous les types de corps gras (y compris les graisses animales, comme le suif ! Cela s’est fait autrefois bien plus qu’aujourd’hui), la qualité de ceux-ci va avoir une conséquence directe sur celle du savon obtenu, dont son pouvoir moussant et sa douceur sur la peau. Les savons certifiés naturels et biologiques sont bien entendu exclusivement issus de la saponification de corps gras végétaux, et non de suif. Et la qualité des huiles employées (abricot, bourrache, amande douce, avocat…) va aussi en toute logique influencer la qualité du savon. D’ailleurs, les huiles végétales de qualité contiennent toutes ce que l’on appelle justement une « fraction insaponifiable » (qui résiste par contre peu aux procédés de la grande industrie du savon), c’est-à-dire des composants qui ne réagissent pas avec la soude. En font partie la vitamine E, les phytostérols, le squalène, différents alcools gras, etc. qui comme on le sait possèdent des effets largement positifs sur la peau.
Comme dit plus haut, on peut aussi ajouter des huiles pour « surgraisser » le savon, en fin de préparation, une fois que la réaction de saponification est très avancée. Cela peut être des huiles végétales de qualité mais aussi du beurre de karité, de cacao, de cupuaçu, etc. Et on peut également remplacer une partie de l’eau nécessaire à la dilution de la soude par du lait (brebis ou ânesse par exemple), qui apportera aussi ses nutriments bénéfiques. Sans parler des huiles essentielles et éventuellement de parfums (ou de colorants, ce qui est surtout fréquent pour les savons conventionnels).
Un peu de vocabulaire
La savonnette (ou savon de toilette) est destinée à la toilette du corps. Contrairement au savon de ménage, elle donc doit présenter une teneur élevée en acides gras, pour respecter au maximum la peau. Sa production industrielle nécessite par conséquent une élimination parfaite de la soude, sachant néanmoins que de tels savons gardent souvent un pH basique (alcalin) malgré les additifs.
Le savon de Marseille : malgré les efforts des quelque fabricants qui restent dans cette ville emblématique de l’histoire du savon, cette dénomination ne correspond pas à une « appellation d’origine contrôlée ». Elle signale normalement une méthode (à chaud), qui inclut entre autres un minimum 63 % d'acides gras. Ce savon reste néanmoins aussi assez alcalin. Les additifs y sont limités et les tensioactifs de synthèse sont en particulier interdits. Certaines huiles végétales seulement sont autorisées, mais le suif n’est pas interdit.
Le véritable savon d’Alep (du nom d’une ville en Syrie), qui reste assez alcalin également, est fabriqué à chaud, exclusivement à partir d’huiles végétales (olive et aussi laurier, ajoutée en fin de procédé) et de soude végétale, sans colorant ni produit de synthèse. Le séchage, traditionnel, est très long (près d’un an). Les évènements de ces dernières années en Syrie ont malheureusement fait disparaître la plupart des grands fabricants artisanaux.
Savonnerie artisanale traditionnelle à Alep (image LetisTry via Wikimedia Commons).
Les savons sans savon (alias syndet = synthetic detergent) ne sont pas obtenus par action de la soude sur une graisse, mais sont des pains à base de tensioactifs de synthèse. L’absence de soude fait que leur pH est naturellement proche de celui de la peau, d’où leur utilisation comme « savons dermatologiques ». Ils moussent peu. On pourra trouver par exemple comme ingrédient de l’acide stéarique (qui peut être d’origine animale ou végétale) pour leur donner la consistance qui leur manque en l’absence de vrai savon.
Comment choisir un bon savon ?
Pas besoin de s’étendre sur ce point : les savons certifiés bio présentent bien entendu les mêmes garanties d’absence de substances douteuses ou non-écologiques que n’importe quel autre cosmétique naturel certifié, et leur fabrication est strictement encadrée et régulièrement auditée. On mentionnera entre autres l’absence d’EDTA (un agent chélateur fréquent dans les savons conventionnels, irritant, peu biodégradable, écotoxique), de colorants et de conservateurs peu recommandables, et pour les savons liquides, de détergents synthétiques, comme les tensioactifs éthoxylés (ex. laureth sulfate). Soulignons que les tensioactifs et autres savons issus de matières végétales sont de plus mieux biodégradables, et leur impact sur l’environnement (les résidus de savon sont rejetés dans l’eau !) est donc réduit.
De façon intrinsèque, un bon savon est un savon qui n’est pas agressif sur la peau, ne contient pas de substances potentiellement allergènes (mais cela ne concerne que les quelques % de la population vraiment concernés par des allergies !) et qui mousse bien (le pouvoir moussant étant entre autres lié au type d’huiles saponifiées). Ce n’est pas la mousse qui nettoie au sens strict, mais une belle mousse bien crémeuse rend l’emploi du savon plus agréable.
Un savon qui sèche trop vite, craquèle et devient rapidement dur trahit une fabrication bâclée. Pour le reste, il ne faut pas hésiter à lire l’étiquette, car comme pour les autres produits cosmétiques, même certifiés, la qualité des matières premières peut grandement varier.
Savon en pain ou liquide ? Il n’y a pas de vraie différence qualitative. Les deux types peuvent être de mauvaise ou de très bonne qualité. Le savon en pain reste plus longtemps sur la peau, avant le rinçage, et quand il est de qualité la peau a donc le temps de bénéficier de ses bienfaits. Mais si le savon liquide est éliminé plus rapidement, il est plus économique à l’usage, car il est plus facile de le doser.
La qualité des huiles fait beaucoup pour celle d’un savon, mais pas seulement. Moins il y a d’additifs, mieux c’est (image silviarita via Pixabay).
Pas de savon sur le visage
Lors de la toilette, et c’est le but, le savon va dissoudre les graisses déposées sur la peau (le sébum excédentaire, gras des poussières de pollution…) et entraîner les autres saletés. Mais cette action d’entrainement des graisses affecte également le film hydrolipidique protecteur de la peau, qui est un film gras. Et comme le pH du savon, plutôt basique, s’oppose à celui de la peau, légèrement acide, cela déstabilise ladite peau durant au moins quelques heures. Il faut donc éviter d’utiliser du savon pour nettoyer le visage quand on a la peau sensible et réactive, qui ne va pas « apprécier » le déséquilibre ponctuel (pH et absence de film hydrolipidique) provoqué par le savon.
Mais sinon, et surtout avec des savons bien hydratants, riches en huiles végétales, glycérine et autres actifs présents dans les savons certifiés et/ou fabriqués à froid, la contre-indication n’est pas absolue (même si les laits nettoyants pour le visage, présentant bien d’autres avantages, sont toujours à privilégier, surtout quand on avance en âge). Il est alors néanmoins important de rincer extrêmement abondamment les restes de savon après le nettoyage.