Les crèmes solaires sont les premiers produits pour lesquels les nanoparticules ont été montrées du doigt (photo Freepik).
Vous avez dit nano ?
Depuis de longues années, fin des années 1990 et début des années 2000, les nanomatériaux avaient surtout fait parler d’eux à cause des avancées importantes qu’ils promettaient dans de nombreux domaines. Les principaux domaines d’application étaient l’électronique et la médecine, mais aussi de nombreux autres secteurs industriels, allant du textile aux peintures, vernis et revêtements, en passant par l’optique, l’électricité et l’énergie ou encore, parmi d’innombrables exemples, le bâtiment (isolation), les carburants (catalyseurs), etc. Mais à partir du milieu des années 2000, certains médias ont aussi commencé à parler des nanotechnologies pour souligner leur potentielle dangerosité, évoquant notamment leur présence comme filtres solaires dans les cosmétiques.
Mais qu’est-ce qu’un nanomatériau et une nanoparticule ? « Nano » est un préfixe issu du mot grec nanos, signifiant « nain ». Une nanoparticule est une particule dont la taille est de l’ordre du nanomètre (abrégé nm), soit un milliardième de mètre ou un millionième de millimètre ! Pour donner une idée, la molécule d’ADN - support de l'information génétique au cœur de nos cellules - a un diamètre d’environ 2 nm. Les cellules animales justement, ont en moyenne une taille de 20 microns (µm) soit 20 000 nm, les cellules végétales ayant en moyenne de 100 µm soit 100 000 nm. Quant aux nanomatériaux, ce sont de minuscules assemblages de matériaux (en fait des molécules aux formes particulières), dont les éléments de base sont à la même échelle : on peut trouver des nanosphères, des nanotubes et même d’impressionnants « nano-robots ». C’est-à-dire que l’on peut assembler des molécules en forme de machines infiniment petites, par exemple des « robots-bactéries » qui permettront dans un avenir proche, on l’espère, de soigner certains cancers.
Quel est le danger ?
Quelle est la dangerosité réelle des nanoparticules telles qu’on les trouve dans les produits cosmétiques (comme filtres solaires, dispersants, ou pour améliorer la texture et faciliter l’étalement) mais aussi dans certains produits alimentaires (comme opacifiant/colorant, enrobage contre l’oxydation, texturant, etc.) ? Il est tout d’abord important de noter que cette dangerosité est d’évidence variable, étant le fruit d’un ensemble de facteurs, non seulement le type de matériau mais aussi sa taille et/ou sa forme effective. Par ailleurs, la dangerosité n’est parfois pas directe, mais due au fait qu’en adsorbant certaines substances toxiques, les nanoparticules leur servent de transporteur, comme un « cheval de Troie ».
En fait, les connaissances actuelles des effets toxiques des nanoparticules restent encore relativement limitées, de nombreuses études étant contradictoires, même les plus récentes. Ce qui est établi c’est que certaines nanoparticules insolubles (de zinc, titane, silice) peuvent s’accumuler dans notre corps. Leur toxicité est surtout connue au niveau pulmonaire (c’est le risque le plus élevé), mais commence aussi à être démontrée dans d’autres organes (cerveau, foie, rate, intestins, os…). Les effets potentiels sont nombreux : cancers, retards de croissance, troubles neurologiques, allergie, hypersensibilité, maladies inflammatoires, etc. Mais en l’absence de réelle étude épidémiologique (sur de grands groupes de personnes), de nombreuses interrogations subsistent.
Un autre fait bien connu, ce sont les conséquences négatives sur les micro-organismes servant au traitement de l’eau dans les stations d’épuration, ainsi que ceux vivant dans le sol. Comme l’ont montré des essais en laboratoire, les animaux peuvent également les accumuler dans leurs organismes - avec des effets semblables à ceux constatés sur l’humain – ainsi que les plantes, qui peuvent afficher entre autres des retards de croissance voire une absence de germination.
Nanoparticules de dioxyde de titane (photo C. Impellitteri via Wikimedia Commons).
Nano certes, mais mesuré comment ?
Lorsqu’il a été question de limiter l’emploi des nanoparticules, la taille critique a été fixée à 100 nm. Une valeur qui pourrait déjà être discutée. Pourquoi pas 200 nm ou 50 nm ? Et gros problème : définir la taille réelle d’une nanoparticule est extrêmement complexe. D’abord parce qu’il y a peu de méthodes normalisées, et ensuite car il y a aussi peu de matériaux de référence (…certifiés), nécessaire pour faire une mesure valable (ce que l’on appelle un « étalon de mesure ») et que dans la plupart des cas il n’y a aucun cadre d’accréditation pour les laboratoires procédant à ces mesures (contrairement à d’autres types de tests).
Selon la méthode employée (et donc le laboratoire), la mesure peut ne concerner que des agglomérats (paquets de particules faiblement liées entre elles) ou des agrégats (paquets de particules fortement liées) de nanoparticules, alors que par définition elle devrait porter sur les particules unitaires, car ces paquets peuvent se déliter (se défaire). L’autre souci est que le résultat donné est parfois statistique (on considère une taille moyenne, sans s’intéresser aux plus petites particules, d’ailleurs parfois en-dessous de la limite de détection de la méthode). Enfin, certains laboratoires ne mesurent que la taille moyenne la plus grande des particules (qui ne sont pas rondes : c’est comme si on mesurait un ballon de rugby uniquement dans sa longueur) au lieu de prendre la plus petite. Résultat : un échantillon peut être considéré comme « non nanoparticulaire » alors que dans la réalité ce n’est pas le cas.
En cosmétique, un risque à ne pas surévaluer !
En cosmétique, les principales nanoparticules utilisées sont celle de TiO2 (dioxyde de titane) et de ZnO (oxyde de zinc), employées principalement comme dans les protections solaires, bien sûr, mais également dans les crèmes, le maquillage ou les dentifrices.
Un grand nombre d’études réalisées sur du TiO2 et du ZnO nanoparticulaire de différents formats, en particulier dans des filtres solaires, a en fait montré que ces nanoparticules ne passent pas la couche cornée de la peau, concluant ainsi à l’absence d’absorption cutanée dans les tissus vivants, et à une faible probabilité de leur transport via la circulation sanguine. Il faut souligner par contre que ceci n’est valable que pour une peau en bon état, certains chercheurs ayant constaté la possibilité d’un passage à travers la barrière cutanée avec des peaux lésées (endommagées par les UV ou blessées), surtout pour les particules les plus petites.
Sachant néanmoins que récemment (2015) des chercheurs italiens de l’université de Trieste ont démontré que des particules d’une taille inférieure à 20 nm pourraient traverser même une peau saine, en contradiction donc avec de nombreuses autres études. Notons aussi que certaines études suggèreraient que les nanoparticules pourraient être aussi absorbées par la peau par la racine des cheveux (follicules pileux), la plupart des autres chercheurs soulignant par contre aussi que cette absorption par la peau est des plus faibles.
En usage externe, c’est surtout sur une peau lésée que les nanoparticules présentent un risque potentiel (photo Pixabay Kapa65).
La conclusion, notamment diffusée par l’ANSM (agence de sécurité du médicament qui « chapeaute » les cosmétiques en France) est qu’il ne faut pas utiliser de cosmétiques contenant des nanoparticules sur une peau lésée, ni chez les enfants en bas âge, dont la peau est plus perméable comme on le sait. Signalons qu’en raison du risque, plus réel lui, que pose l’inhalation (passage dans les voies respiratoires) de nanoparticules en poudre, certains associations de consommateurs déconseillent l’emploi d’écrans solaires « en poudre » ou en spray… Sauf qu’il n’y a pas de crèmes solaires en poudre (!) et que pour les produits en spray, on les utilise à quelques centimètres de la peau, avec un risque d’inhalation quasi nul. Restons donc sérieux.
Interdiction du E171 en alimentaire
En alimentaire, ce sont les bonbons et autres sucreries diverses qui ont été « dénoncées » comme sources avérées de nanoparticules, présentes en particulier dans ces célèbres dragées au chocolat enrobées de sucre coloré. Les nanoparticules sont présentes via l’opacifiant E171 (dioxyde de titane) ou le colorant E172 (oxyde de fer), que l’on trouve aussi dans des biscuits et gâteaux, des chewing-gums, des desserts glacés, des pâtisseries, etc. Mais aussi dans tous les médicaments, via l’enrobage des comprimés dragéifiés et l’enveloppe des gélules et des capsules.
Le souci est cependant que, pour dénoncer cette « bombe » sanitaire (sic), on évoque là aussi parmi les arguments destinés à démontrer leur dangerosité, les risques (avérés) par inhalation, les nanoparticules pouvant arriver au final dans le sang et les cellules du corps après passage dans les alvéoles pulmonaires. Mais rien à voir avec une ingestion alimentaire !
Face à la polémique, certains fabricants ont commencé à retirer ces colorants ou se sont engagés à le faire à court terme. De toute façon, la « loi alimentation »[1], dont le projet a été adopté définitivement par le parlement français le 2 octobre 2018, prévoit dans son article 53 la suspension de la mise sur le marché du E171.
Dragées au chocolat enrobées (photo Pixabay PublicDomainPictures).
Sage principe de précaution donc, bien que « les études toxicologiques réalisées utilisaient des modèles cellulaires et animaux, à des doses de nanomatériaux très importantes, jugées irréalistes par rapport à leur utilisation par les consommateurs et même par les personnes impliquées dans leur fabrication » comme l’a déclaré Éric Gaffet, directeur de l’Institut Jean Lamour (UMR 7198 CNRS–Université de Lorraine), cité par la revue Santé Magazine.
Par exemple, une étude réalisée en 2017 par l’INRA a consisté à exposer des rats, de façon chronique pendant 100 jours, à du dioxyde de titane mis dans leur eau de boisson. Soit une quantité qui serait « similaire à celle que nous pouvons parfois ingérer en mangeant ce type de produits » (alimentaires, de confiserie notamment). Résultat : « chez des rats sains, 40% (4 rats sur 11) développent des lésions précancéreuses non malignes sur l’épithélium intestinal dans le côlon ». Et « chez des rats prétraités par un cancérogène, 20% des lésions observées présentent une croissance accélérée ». Les chercheurs, restant prudents ont néanmoins précisé « une quantité qui serait ».
Ces résultats interrogent, mais la logique scientifique interdit, comme le soulignent en général les spécialistes, de faire une extrapolation directe à l’homme, de surcroît avec des nanoparticules apportées par des sources diffuses et variées.
D’autres poudres pouvant contenir des nanoparticules sont également employées en alimentaire (par exemple oxyde de silice E551 et silicate d'aluminium E559, comme anti-agglomérant (dans du sel, sucre, cacao ou soupes en poudre) ou comme épaississant (glaces, sauces du type ketchup, assaisonnement du type vinaigrette). Sans oublier du « nano-argent » employé parfois comme agent anti-microbien dans certains emballages alimentaires (barquettes, films).
A noter que, légalement (législation européenne), les fabricants de produits alimentaires sont théoriquement tenus de faire figurer la présence de nanoparticules dans leurs produits dès lors que leur teneur dépasse 10 % du produit, ce qui n’est que très rarement fait. Rappelons néanmoins, comme dit plus haut, qu’il est difficile de les quantifier, les résultats variant d’une méthode et d’un laboratoire de contrôle à l’autre.
Savoir raison garder
Pour conclure, il est clair que, comme souvent, les études sont contradictoires, les partis-pris (dans un sens ou dans l’autre) pouvant influencer les protocoles de tests et la façon d’en « lire » les résultats.
Comme dit le proverbe bien connu : « il ne faut pas jeter bébé avec l’eau du bain », c’est-à-dire voir soudain partout, à dose dangereuse, des nanoparticules, en affirmant par exemple que les sucreries qui contiennent du E171 sont une « vraie bombe ». Voir aujourd’hui les nanoparticules comme « le » nouveau « poison » qui doit être repéré et chassé partout est sans doute excessif. Il y a malheureusement, dans les produits alimentaires (ou cosmétiques), avant tout non bio bien sûr, bien d’autres composants qui ne font pas forcément l’objet d’une médiatisation aussi intense et dont la dangerosité potentielle est bien plus avérée !
Le vrai risque, avec les nanoparticules, est avant tout pour les professionnels qui - dans les usines alimentaires, cosmétiques ou autres - manipulent les poudres qui en contiennent (risque par inhalation). Car - soulignons-le aussi pour être parfaitement clair - que les additifs alimentaires ne sont pas forcément des « poudres de nanoparticules » : la présence de ces nanoparticules est souvent une conséquence de leur fabrication. Par exemple, comme l’explique l’INRA dans son communiqué sur l’étude susmentionnée, « le E171 est composé d’un mélange de nanoparticules (10 à 40% selon les lots du commerce) et de microparticules » (pour le reste, soit des particules dont la taille est supérieure à 100 nm).
Poudre de dioxyde de titane (photo Benjah-bmm27 via Wikimedia Commons)
Quand on broie soi-même des graines dans un mixer, par exemple, ou des grains de café, il y a aura toujours une petite proportion de particules extrêmement fines, certaines si petites qu’elles sont des nanoparticules. Quand un menuisier coupe du bois à la machine, il respire des nanoparticules de bois. Quand un joggeur court sur un chemin sec avec de la poussière soulevée par le vent, il respire des nanoparticules de terre et de minéraux….
Ce qui est certain, c’est qu’en matière alimentaire, le principe de précaution semble devoir s’imposer, la future loi allant donc dans ce sens. De toute façon, le dioxyde de titane (E171) et le dioxyde de silice (E551) sont déjà interdits dans le cahier des charges alimentaires bio. Donc privilégions le bio, par sûreté. Et avant de crier au scandale des dragées au chocolat c contenant des nanoparticules qui « empoisonnent les enfants vu la quantité mangée », il convient peut-être d’abord de se demander si ce n’est pas globalement la consommation excessive de sucreries et une malbouffe générale qui n’est pas avant préjudiciable à une bonne hygiène alimentaire et à une bonne santé !
Quant à la cosmétique, comme dit plus haut, sauf sur une peau lésée (blessée, ouverte), à ce jour la dangerosité d’ingrédients du type dioxyde de titane est loin d’être démontrée…. Et arrêtons de dire, pour affirmer le contraire, que cet ingrédient peut provoquer des dommages aux poumons… par inhalation ! Utilisons la science pour éliminer du marché des ingrédients dangereux, mais ne lui faisons pas dire n’importe quoi. Et n’oublions pas que pour se protéger du soleil; avec des crèmes solaires par exemple (mais aussi nombre de crèmes de jour basiques), les soucis potentiels sont bien plus grands (et réels) avec des filtres UV chimiques (dit « organiques ») qu’avec les filtres physiques du type dioxyde de titane.
Question lue dans les commentaires d’un article en ligne sur les nanoparticules : « Peut-on savoir si les pesticides contiennent du dioxyde de titane? » ! Où va-t-on ? Ce n’est pas parce que les pesticides contiendraient (??!) du dioxyde de titane qu’ils sont dangereux, mais bien en raison de leur composition moléculaire. Il faut vraiment arrêter de faire circuler des informations qui n’ont ni queue ni tête, dans le cas présent de voir des nanoparticules partout. Si ce n’est pas déjà fait, des marques vont s’emparer de l’argument « sans nanoparticules » pour des produits qui, par essence, n’en contiennent de toute façon pas du tout. Comme c’est déjà le cas avec les conservateurs depuis des années !
Enfin, il ne faut pas interdire pour autant de s’intéresser aux nanoparticules et nanomatériaux de façon générale. Demain, des vies seront sauvées grâce aux nanorobots médicaux capable de détruire une tumeur avec moins de risque qu’un traitement anti-cancéreux ou chimique. Alors qu’ils sont décriés parfois sans discernement, signalons quand même aussi que les nanomatériaux ouvrent des perspectives intéressantes en matière… d’écologie et de développement durable, comme avec ces bétons contenant des nanoparticule de dioxyde de titane capables d’absorber le carbone de l’air et d’autres polluants, ou encore ces batteries « nanostructurées » aux performances incomparables.
Affaire à suivre donc, de façon critique mais sans œillères ni parti-pris, et de façon rationnelle.
[1] Plus précisément : « Loi n° 2018-938 du 30 octobre 2018 pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous ».