Le mot permaculture est encore ignoré par la plupart des dictionnaires. Certes c’est un néologisme, mais cela fait maintenant plus de 40 ans qu’il a été inventé. Ce concept particulier croisant de nombreuses valeurs de l’agriculture biologique et de l’écologie moderne, il ne faut pas s’étonner de le voir de plus en plus présent dans le monde de la distribution, et notamment le circuit des magasins biologiques, d’où la nécessité d’en comprendre les grandes lignes. |
Un concept inventé en 1910 En 1910, Cyril G. Hopkins, professeur d’agronomie à l’Université de l’Illinois aux Etats-Unis, vice-directeur de la station d’agriculture expérimentale de l’Illinois, publia chez Ginn and Company à Boston un ouvrage intitulé Soil fertility and permanent agriculture (« La fertilité des sols et l’agriculture permanente »). Hopkins y développait la notion « d’agriculture permanente », une forme d’agriculture avec des méthodes culturales permettant aux terres de maintenir leur fertilité naturelle. D’autres auteurs approfondirent ensuite le concept, comme Franklin Hiram King dès 1911 avec Farmers of Forty centuries: Or Permanent Agriculture in China, Korea and Japan (« Fermiers depuis 40 siècles, ou l’agriculture permanente en Chine, Corée et au Japon), Joseph Russell Smith en 1929 avec son livre Tree Crops : A Permanent Agriculture (« Cultures arbustives : une agriculture permanente ») ou encore le Japonais Masanobu Fukuoka en 1975, avec son livre The One-Straw Revolution (…titre de la version anglaise en 1978, soit « La révolution par un brin de paille »). Le terme « permaculture » lui-même a été utilisé pour la première fois par Bill Mollison et David Holmgren dans leur livre Permaculture One: A Perennial Agriculture for Human Settlements, paru en 1978 et traduit en 1986 en français sous le titre Perma-Culture 1 : Une agriculture pérenne pour l’autosuffisance et les exploitations de toutes tailles. Ouvrage qui sera suivi en 1979 par un Permaculture Two: Practical Design for Town and Country in Permanent Agriculture (« Perma-culture 2 : Aménagements pratiques à la campagne et en ville »). Couverture du premier livre de Bill Mollison et David Holmgren en 1978 (édition anglaise, coll. privée). avec en illustration le principe des zones concentriques (voir explication plus bas dans le texte). |
Travailler avec la nature et non contre elle Mais qu’est-ce que la permaculture ? « La permaculture est une méthode systémique et globale qui vise à concevoir des systèmes (par exemple des habitats humains et des systèmes agricoles, mais cela peut être appliqué à n'importe quel système) en s'inspirant de l'écologie naturelle (biomimétisme ou écomimétisme) et de la tradition. Elle n'est pas une méthode figée mais un ″mode d'action″ qui prend en considération la biodiversité de chaque écosystème. Elle ambitionne une production agricole durable, très économe en énergie (autant en ce qui concerne le carburant que le travail manuel et mécanique) et respectueuse des êtres vivants et de leurs relations réciproques, tout en laissant à la nature ″sauvage″ le plus de place possible » (Wikipedia). Les principes de la permaculture peuvent ainsi s’appliquer à la construction (architecture) autant qu’à l’agriculture. Le but est entre autres de concevoir des habitats et des systèmes agricoles régénérateurs et auto-entretenus, inspirés des écosystèmes naturels. Pour Bill Mollison, « la permaculture est une philosophie de travail avec - plutôt que contre - la nature, résultant d’une observation prolongée et réfléchie plutôt que d’un travail prolongé et irréfléchi, en regardant les plantes et les animaux dans toutes leurs fonctions, plutôt que de gérer un espace donné comme s’il était un système de production isolé ». La permaculture s'appuie sur une éthique, ensemble de valeurs fondamentales gouvernant la réflexion et l'action, basée sur trois principes centraux : prendre soin de la nature (les sols, les forêts, l’eau et l'air) ; prendre soin de l’humain (soi-même, la communauté et les générations futures) ; créer l’abondance et redistribuer les surplus. Une polyculture synergique Parmi les nombreux principes qui gouvernent la permaculture agricole, il faut en souligner deux. Le premier est la stimulation de la diversité dans les aménagements agricoles, c’est-à-dire que la permaculture est basée sur la polyculture et non sur la monoculture, comme c’est le cas avec l'agriculture intensive conventionnelle. En clair, et comme cela a été pratiqué autrefois et comme ça l’est encore dans certaines régions du monde, on associe sur des surfaces réduites plusieurs espèces végétales. Par exemple, en combinant du haricot, du maïs et de la courge, le premier permet de fertiliser le sol en fixant l'azote de l'air par les bactéries vivant sur ses racines, le deuxième sert de tuteur pour le haricot, et les feuilles de la troisième couvrent le sol pour en conserver l'humidité. Mais des associations de plantes peuvent être également choisies pour d’autres raisons : une plante peut ainsi en protéger une autre contre les nuisibles, une plante peut pousser au ras du sol alors qu’une autre est plutôt aérienne ce qui optimise les surfaces utilisées, etc. Association culturale de maïs, haricot et courge dans la région du Mixtepec au Mexique (image Isabelle Fragniere via Wikimedia Commons). |
Ces choix, ainsi que d’autres mesures, permettent d’obtenir un sol « vivant » qui n’a plus besoin d’être travaillé, étant entre autres nourri naturellement par des apports de matière organiques variées. La permaculture connaît ainsi le principe du « mulch », couverture du sol par de la matière qui va fertiliser le sol, mais aussi par d’autres matériaux (comme des bâches ou des pierres) qui vont faciliter cette vie du sol. La matière fertilisante peut d’ailleurs être d’origine végétale, mais aussi animale. Les animaux domestiques sont en effet considérés comme des « co-travailleurs » : poules, canards ou oies en semi-liberté vont ainsi consommer des végétaux ou parties de végétaux non comestibles pour nous, comme les mauvaises herbes, manger des nuisibles comme les limaces, leurs excréments servant de fertilisants. Canards et oies comme « co-travailleurs » dans un espace de permaculture (image EwigLernender via Wikimedia Commons). |
Le principe des « zones » Le deuxième principe intéressant à souligner est celui des « zones ». Celles-ci sont designées concentriquement de façon à organiser intelligemment l’environnement en fonction de la fréquence d'utilisation par l'homme et des besoins des plantes ou des animaux. La « zone 0 » centrale est celle où se trouve l’habitation ou l’exploitation agricole. Elle est conçue pour réduire de façon optimale les besoins en énergie et en eau et pour créer un environnement agréable de vie et de travail. La « zone 1 », autour de la précédente, est celle située donc le plus près de la maison, où se trouve tout ce qui doit être visité fréquemment, comme les cultures de salade, les herbes culinaires, les fruits à baies du type fraises ou framboises, les serres et les châssis, le composteur pour les déchets de cuisine, etc. La « zone 2 » est celle des plantes vivaces nécessitant moins d’entretien, c’est-à-dire où la suppression des mauvaises herbes ou l’élagage ne doivent se faire qu’occasionnellement. On y trouve ainsi les groseilliers, les citrouilles, le verger, etc. On y implante également les ruches ou les grands bacs pour le compostage à grande échelle. Dans la « zone 3 » se trouvent les principales cultures destinées à un usage domestique ou à la vente. Grâce aux principes mêmes de la permaculture, mulch et autres paillis notamment, l’entretien peut être réduit au minimum, avec par exemple seulement un arrosage ou un désherbage par semaine. La « zone 4 » est « semi-sauvage ». On y trouve les végétaux destinés au fourrage ainsi que les fruits sauvages à cueillette, ou encore les arbres fournissant le bois de construction ou de chauffage. Enfin, la « zone 5 » est une zone de nature sauvage, dans laquelle aucune d’intervention humaine n’est normalement pas nécessaire. Elle sert en particulier de « réserve naturelle » pour les bactéries, moisissures et insectes qui viendront aider les écosystèmes naturels des zones 0 à 4. Pas d’intrants chimiques Dans la pratique, la permaculture est une forme particulière d’agriculture biologique, car aucun n’intrant chimique n’est employé. S’y ajoute donc le non-labour, ce qui ne détruit pas la « pédo-faune » (animaux divers, invertébrés et insectes vivant dans le sol et participant à sa vie et à sa bonne qualité) et permet de plus de ne pas oxyder le complexe argilo-humique qui fixe les ions dans le sol, ce qui est la garantie d'une bonne fertilité. En outre, la permaculture utilise au mieux les arbres, par exemple en tirant profit des haies en bordure des cultures et des bocages, qui sont des garants de la biodiversité et de la limitation de l'érosion éolienne. Toutes ces mesures créent un écosystème naturel beaucoup plus productif que n’importe quel système humain de production, comme l’a démontré l’écologue et botaniste américain Robert Harding Whittaker (1920-1980). De nos jours, de plus en plus d’exploitations agricoles se tournent vers la permaculture, notamment à proximité des villes, car elle permet de cultiver beaucoup sur de petites surfaces, sans pollution, en minimisant les dépenses en énergie et en eau. C’est donc une agriculture durable dans le meilleur sens du terme, qui permet de plus de créer des circuits courts au plus près des zones de consommation, et en fournissant des produits de qualité. |
Jardin de permaculture (image CeGall via Wikimedia Commons). |